Et si le V-commerce était l’avenir du E-commerce ? Alors que la digitalisation de notre société se généralise, le consommateur continue de plébisciter le commerce en magasin. Paradoxal. La réalité virtuelle offre t-elle une nouvelle voie ?

Personnellement, j’avoue me surprendre à me poser la question. J’ai grandi avec les centres commerciaux et les boutiques spécialisées. J’ai aimé y flâner seul ou accompagné. Mais après 15 années d’expérience en Grande Distribution, je serais tout autant surpris de compter le nombre de fois où mes collègues m’ont dit : « le commerce a changé » !

Je développerai l’ensemble des interactions et des promesses qu’offre l’ensemble des réalités « améliorées » dans le cadre de ma thèse professionnelle. Aujourd’hui, concentrons-nous sur la question suivante : le E-commerce va-t-il devenir V-commerce ?

Avant de répondre à la question, je vous propose un peu d’histoire.

Petite histoire du E-commerce

Et si le commerce avait changé le 11 août 1994 ?
Ce jour-là, à Philadelphie, Phil BRANDENBERGER commande en ligne l’album « Ten Summoners Tales » de STING sur le site d’E-commerce NetMarket. Cette transaction est la première dont le paiement par carte bancaire est sécurisé par un logiciel de cryptage.

Pour bien comprendre, à cette même époque, le jeune Mark ZUCKERBERG vient de fêter son 10ème anniversaire et Steve JOBS n’a pas encore fait son retour chez Apple (alors au bord de la faillite). En France, moins de 100 000 foyers ont accès à Internet via une connexion par modem 56K …..

Mais qu’importe, l’histoire du commerce électronique est lancée.

Aujourd’hui, les chiffres sont éloquents. En 2017, le commerce électronique mondial a généré le chiffre d’affaires historique de 2 352 milliards de dollars. Les prévisions pour 2018 tablent sur un chiffre d’affaires de 2 860 milliards, et les 4 000 milliards devraient être atteints d’ici 2020.
Le succès est incontestable.

alt=FEVAD-2018

Les chiffres clés : cartographie du e-commerce en 2018

En France, les derniers chiffres de la FEVAD confirment cette tendance. En 2017, le E-commerce français est en hausse de 14,3%, et le M-commerce représente 21% du commerce électronique.

alt=FEVAD-2018

Les chiffres clés : cartographie du e-commerce en 2018

 

 

 

 

 

Et si le E-commerce est prépondérant dans certains secteurs, il ne représente que 8,5% du commerce de détail.

Les raisons objectives du succès du E-commerce sont nombreuses.

Pour un professionnel, c’est la possibilité de dépasser les limites géographiques et de s’ouvrir à de nouveaux clients via le Search. C’est une rencontre sans contrainte de temps car les sites sont – littéralement – ouverts tout le temps.
Pour les consommateurs, c’est la possibilité de trouver rapidement un produit puis de le comparer pour trouver le meilleur prix (par exemple). La liste n’est pas exhaustive.

Pourquoi le E-commerce n’a-t-il pas « tué » le Retail ?

Ces facteurs auraient dû condamner la distribution ; de nombreux experts ont d’ailleurs prédit la disparition des magasins physiques ou l’avènement d’un point de vente 100% digital. Mais non.
Pourquoi ? L’expérience client.

Le concept d’expérience client ou CX a été posé à la fin des années 1990 par B. Joseph PINE et James H. GILMORE. En introduction à leur article « Welcome to the Experience Economy », les auteurs prophétisent :

« As goods and services become commoditized,
The customer experiences, that companies create, will matter most»

Via la métaphore du gâteau d’anniversaire, ils résument une évolution : ceux et celles qui faisaient eux-mêmes leur gâteau d’anniversaire, avec des produits bruts, à faible coût, ont progressivement accepté de payer de plus en plus cher pour, tout d’abord, des produits industriels, puis pour des produits préparés par d’autres. Ils dépensent aujourd’hui des sommes importantes pour « outsourcer » un évènement mémorable pour leur enfant.

Proposer un événement mémorable, c’est la finalité même de l’expérience client.

Sans généraliser, je pense que c’est exactement ce dont manque le E-commerce.
Les raisons, que j’ai qualifié d’objectives plus haut, ont replacé le consommateur au centre des dispositifs, principalement par le biais du service. Mais quid de la dimension sociale du shopping ? Quid du plaisir ?

Et si le E-commerce devenait V-commerce ?

1. Introduction à la réalité virtuelle

Combinaison la plus poussée entre immersion et interaction, on peut définir la réalité virtuelle, de façon globale, comme une « technologie informatique qui simule la présence physique d’un utilisateur dans un univers virtuel généré par un ordinateur, une console de jeu ou un smartphone et dans lequel l’utilisateur en question peut évoluer et interagir avec les éléments qui composent cet univers ».
La réalité virtuelle abolie les frontières physiques dans lesquelles la réalité nous contient.
Selon Philippe FUCHS, l’univers virtuel créé peut être « imaginaire, symbolique ou une simulation de certains aspects du monde réel », offrant ainsi une infinité de possibilités et une immersion sans limite.

Si le sujet est sur toutes les lèvres depuis peu, les premières recherches datent du 19ème siècle. En 1929, Edwin Albert LINK développe le premier simulateur de vol – le « Link Trainer ». Dans les années 1960, les travaux d’Ivan SUTHERLAND aboutissent à la mise au point du « Head-Mounted Three-Dimensional Display » (ou HDM). Dans les années 1980, la société VPL Research, créée par Jaron LANIER en 1984, est l’une des premières compagnies à développer et vendre des produits de réalité virtuelle, avec la volonté de « bring virtual reality to a mass audience ».

2. Définition du V-commerce

Le commerce virtuel ou V-commerce est un principe mixant le E-commerce et la réalité virtuelle.

Cette technologie, qui repose principalement sur les casques de réalité virtuelle, a été développé afin d’améliorer l’expérience-client, en simulant la présence d’un client dans un environnement digital. Le but est simple : proposer une expérience unique au client !

Plus personnellement, et même si cela déborde du sujet, je pense qu’une expérience unique ne peut se limiter à la seule réalité virtuelle. Je propose donc d’étendre la définition du V-commerce comme suit :

« Ensemble des dispositifs technologiques digitaux proposant une expérience-client personnalisée, via différents niveaux d’immersion et d’interaction, dans un environnement physique ou entièrement dématérialisé »

Le V-commerce regroupe ainsi toutes les variantes de shopping immersif.

3. Pourquoi la réalité virtuelle peut-elle constituer le futur du E-commerce ?

La réalité virtuelle offre une double réponse au commerce en général, et au E-commerce en particulier. Pour les retailers traditionnels, la réalité virtuelle permet de proposer une expérience omnicanale. Elle permet aux pure-players de créer une expérience proche du shopping traditionnel.

–> La réalité virtuelle comme aide à l’expérience shopping

En introduction, il me semble utile de préciser qu’à mon sens, la réalité virtuelle ne remplacera pas les achats réels (mais je ne veux pas dire jamais). En parallèle de la digitalisation de notre quotidien, cohabitent des mouvements pour une consommation plus responsable, de proximité.

Néanmoins, la réalité virtuelle peut constituer une aide à l’expérience shopping car les clients peuvent naviguer dans une boutique en ligne en parcourant les sites au lieu de cliquer sur des liens. Ils peuvent «explorer» un site de commerce électronique et être complètement immergés dans l’expérience. Et ceci depuis pratiquement n’importe où.

Le site SiteJabber a résumé les « peurs » liées au E-commerce dans l’infographie ci-jointe :

alt=SiteJabber-Ecommerce-Fears

SiteJabber – Top E-commerce Fears

La réalité virtuelle appliquée au E-commerce permet de répondre aux interrogations 2, 3 et 7, comme en témoigne les expériences suivantes.

a) Alibaba Buy+

Alibaba Buy+ est la raison pour laquelle je me suis intéressé aux sujets des réalités améliorées appliquées au commerce. Avec Buy+, ALIBABA reproduit tous les codes du shopping physique à une exception près, la dimension sociale.
Buy+ propose ensuite de visiter, comme dans un grand centre commercial traditionnel, un ensemble de boutiques. Dans chaque boutique, vous pouvez ensuite parcourir l’ensemble des produits. La navigation a été jugée fluide comme dans un jeu vidéo.

Enfin, l’expérience d’achat a été poussée au maximum : l’option « real-time purchase » offre la possibilité de régler directement en ligne sans avoir à retirer le cardboard. L’expérience d’achat est donc couverte du début à la fin.




Comme l’explique ALIBABA, l’objectif recherché est : « To erase the line between entertainment and retail »

b) Lowe’s Holoroom

Le secteur de l’habillement ayant davantage adopté l’expérience virtuelle in-store, il existe d’autres domaines ayant adopté la réalité virtuelle. L’une des expériences les plus intéressantes est menée dans le secteur de l’équipement de la maison.

En janvier 2016, à l’occasion du salon Consumer Electronics Show de Las Vegas, l’enseigne LOWE’S Home Improvement House (ou Lowe’s), spécialisée dans le matériel de construction et de jardinage pour particulier, a présenté un dispositif nommé Holoroom (déjà présent dans 2 magasins de l’enseigne au Canada depuis 2015).

Co-développé avec la société MARXENT, le dispositif est une cabine dans laquelle on peut dessiner sa future cuisine ou sa future salle de bain.

alt=Lowe's-Holoroom

Lowe’s Holoroom

On se trouve à la frontière entre le retail et le E-commerce : en effet, l’expérience initiale se fait en magasin avec l’aide d’un casque Oculus Rift. Avec le casque, vous pouvez choisir un style de cuisine, le visualiser en fonction des dimensions de la pièce d’accueil, et ensuite la personnaliser. Mais ensuite, la réalisation virtuelle est exportable sur Youtube VR, et visualisable à domicile avec un simple Google CardBoard ou, plus simplement, sur navigateur Chrome.

c) Ikea VR Experience

Dans le même secteur d’activité que LOWE’S, la marque suédoise de meubles et d’aménagement intérieur IKEA a proposé une expérience en réalité virtuelle.

Ce dispositif a été lancé en Avril 2016 et fonctionne avec la casque HTC Vive.
L’objectif est identique à celui de LOWE’S : permettre aux clients potentiels de choisir parmi 3 styles de cuisine, puis de la personnaliser, notamment via la couleur des armoires et autres tiroirs. Et in fine, se projeter dans sa future cuisine.




Le dispositif a ensuite été étendu afin de recréer un magasin en réalité virtuelle.

L’objectif de ces 3 dispositifs (parmi tant d’autres) permet donc de plonger le consommateur dans un « vrai » magasin, de parcourir un champ des possibles plus large, de choisir, de configurer, de modifier. Et comme le précise Beck BESECKER, CEO de MARXENT :

« The earlier you can reach them and provide the customer with tools to help them make decisions and introduce them to your brand, the more likelihood that you’re going to get the sale »

La réalité virtuelle permet de transformer l’acte d’achat.

–> La réalité virtuelle comme outil marketing

La réalité virtuelle, ce n’est pas simplement donner aux gens une nouvelle façon de faire leurs achats. Les marques peuvent en profiter pour favoriser l’engagement à leur égard ou, plus légèrement, contribuer à leur notoriété en créant le « buzz ».

Comment ? Parce que la réalité virtuelle propose les caractéristiques suivantes : elle est à la fois immersive, intense, novatrice et mémorable. Elle permet aux clients d’être entièrement focalisés sur l’expérience en cours. Celle-ci est mémorable à la fois parce qu’elle est réalisée à l’aide d’un dispositif innovant, mais surtout parce qu’elle implique une intensité émotionnelle à même de marquer le client.

Dans l’habillement, le groupe Eram a innové en proposant le Showroom Virtuel by Eram, à l’occasion du lancement de sa ligne premium Noyce.




Si le sujet vous intéresse, je vous propose également de découvrir cette vidéo qui présente 10 expériences très réussies de marketing en réalité virtuelle.




En conclusion

Le E-commerce de demain va-t-il devenir virtuel ? Il existe aujourd’hui des raisons objectives pour relativiser la portée de la réalité virtuelle dans le commerce.
Des raisons liées aux coûts d’équipement tout d’abord. Les casques de réalité virtuelle constituent un investissement conséquent, même si la sortie de l’Oculus Go est un pas en avant pour la démocratisation de la réalité virtuelle. Les spécialistes s’accordent pour dire que 2020 devrait constituer un tournant pour la question du prix.
Des raisons liées au contenu (qui exacerbent celles liées au coût). Malgré les expériences exposées plus haut, le taux d’équipement demeure faible car les développements de contenu sont là encore très onéreux et donc assez rares. Le faible contenu n’incitant pas le consommateur à réaliser des achats d’équipement, c’est, selon l’expression, « le serpent qui se mord la queue » ! Mais là encore, les prises de position d’Amazon, Apple ou Facebook sur la réalité virtuelle devraient favoriser le développement de contenus.

Difficile d’imaginer faire son shopping en réalité virtuelle avant 5 à 10 ans. Néanmoins, en proposant une expérience client de plus en plus immersive (son, image et demain le toucher), de plus en plus personnalisée, la réalité virtuelle peut permettre de réaliser le potentiel du E-commerce.


Si la réalité virtuelle vous intéresse, je vous invite à consulter l’article de Marc Cohen sur la réalité virtuelle et la conception des fusées.

Si ce sont les équipements qui vous intéressent, prenez le temps de lire l’article de Franck Hervé sur les lunettes connectées.


Sources :

https://www.fevad.com/
https://hbr.org/1998/07/welcome-to-the-experience-economy
https://www.linkedin.com/in/philippe-fuchs-b04734124/?originalSubdomain=fr
https://www.sitejabber.com/