Encore un chef ? Depuis quelques années nous voyons apparaître de plus en plus le terme CDO (Chief Digital Officer). Ce chef d’orchestre du digital est nommé pour ancrer une stratégie digitale dans une organisation traditionnelle. Il a en général une solide expérience, un leadership marqué, et la capacité de jongler entre l’opérationnel et la prospective. Pour réussir ce challenge, il lui faut s’assurer de l’efficacité de sa place dans l’organigramme, préciser au plus vite sa mission, et obtenir l’aval du comité de direction sur cette dernière. Dès lors il oeuvre pour engager l’ensemble de l’entreprise dans un processus d’adaptation digitale centrée sur les réalisations. Une démarche empirique ponctuée de tests rapidement mis en place, évalués, puis conservés ou écartés.

Profil d’un CDO

Idéalement, il a mené des projets digitaux en agence ou travaillé dans les nouvelles technologies pendant une dizaine d’années, en cabinet de conseils ou bien chez un e-commerçant d’une certaine envergure. Il a une expérience de management qui montre ces qualités de leader. Il est lui même passionné et consommateur de digital, si possible à l’avant garde des nouveaux usages. Un mix de ces différentes qualités et expériences correspond au mouton à cinq pattes idéal pour ce type de poste.

Place dans l’organigramme et rattachement

Contrairement au CTO et CEO, il arrive que la fonction de CDO ne soit pas totalement rattachée à la direction générale. On entrevoit ici les enjeux liés à cette question. Un rôle trop politique versus un rôle trop métier ; et de même un rôle trop stratégique versus un rôle trop opérationnel. Tout dépend de la mission que l’on affecte au CDO et de la culture de l’entreprise.
A priori on peut penser que rattacher le CDO à la direction marketing est le plus sensé. Mais quel est le but principal ? Est-ce le business developement à court terme, nerf de la guerre, pour lequel un rattachement à la direction commerciale est possible. Ou y a t il d’autres enjeux, en termes de mutation d’entreprise, d’innovation, de changement de business model ? Si c’est le cas, asseoir la place du CDO au sein même du comité du direction, avec un rang hiérarchique au moins équivalent aux autres directeurs est sûrement plus pertinent. Ceci pour établir une feuille de route claire et surtout pouvoir la partager, sans quoi la fonction risque d’être vide de sens. L’enjeu est encore plus marqué dans les grands groupes, d’autant plus s’ils sont fortement décentralisés, avec des entités très autonomes. Dans ces organisations tentaculaires, une solution réside dans la nomination de référents dans chaque entité, qui seront autant d’ambassadeurs du CDO, et de capteurs situés au plus près des spécificités de chaque filiale ou service.
Chez Renault, groupe international par exemple, on voit une double logique. La direction digitale a son équipe propre, “la digital factory”, rattachée au siège certes, mais avec des ramifications dans presque toutes les filiales.

Les domaines d’expertise / Le périmètre

De multiples thématiques possibles pour le chief digital officer

De multiples thématiques possibles pour le chief digital officer

Le digital est si vaste que les domaines d’interventions possibles du Chief Digital Officer sont multiples. Et ils dépendent des objectifs de l’entreprise. L’une des priorités pour le CDO, si ce n’est LA priorité, est de définir son propre rôle, qui devra d’ailleurs être validé par la direction générale, voir le conseil d’administration. Pour Sandrine Godefroy, CDO chez Econocom : « Une des premières missions à mener pour un CDO, c’est de clarifier la signification de la transformation digitale dans son entreprise, de manière à avoir un référentiel commun de langage et de périmètre d’action. Cela se fait bien sûr en lien avec le comex et tous les intervenants de la stratégie d’entreprise. »Elle ajoute : « La transformation digitale est un terrain de jeu infini… Mais on doit définir si on joue sur un terrain de foot ou un terrain de rugby ! »1

L’image est parlante, mais comment fait on concrètement ? Car ne rêvons pas, la bonne stratégie ne peut venir de l’unique direction générale. Pis, cela pourrait être un risque majeur si comme le pense Patrick Hoffstetter CDO chez Renault « Une initiative qui ne part que d’en haut est vouée à l’échec. Il faut vraiment que la transformation numérique soit perçue comme un projet transversal. »… « pour que ça marche, il faut embarquer tout le monde, du stagiaire au CEO »2. Comment faire cela et prioriser les différents champs d’actions. Ces derniers relevant d’une pléthore de thématiques comme : les contenus connectés (site, application mobile, chaîne youtube etc..), le big data et smart data (c’est à dire faire remonter et parler les données y compris sur les réseaux sociaux), le e-commerce et le multicanal (dont la stratégie via des distributeurs online), la monétisation via des plateformes média publicitaires ou encore la transformation digitale des compétences etc…

A son arrivée chez Pernod Ricard, Antonia McCahon, désormais CDO, a participé à un séminaire avec les champions numériques de plusieurs entités.  » Environ 60% étaient issus de la fonction marketing, d’autres des RH, de la finance, de l’IT, des forces de vente… Tous en tout cas étaient intéressés par le sujet du digital »3. Un bon moyen de faire réfléchir à l’impact du digital sur les métiers de l’entreprise et comment en tirer des champs d’interventions. Le CDO peut ainsi en déduire les grands chantiers, et embarquer un maximum de collaborateurs, directement ou via le relais d’ ambassadeurs, réunis dans notre exemple au sein d’une “digital task force”. Réunis 4 fois par an, chacun des membres doit pousser un projet pilote dans les trois mois.
Ce genre d’initiative permet également de ne pas déposséder les équipes des sujets digitaux, souvent considérés comme des projets intéressants. Et donc d’éviter de démotiver les collaborateurs impactés.

Change management, état d’esprit et transformation digitale des compétences

Fail to learn, la maxime du chief digital officer

Fail to learn, la maxime du chief digital officer

L’état d’esprit et la volonté de changement sont au cœur du métier du CDO, qui doit notamment adapter l’entreprise à la vélocité du e-commerce. Y a-t-il des best practices en la matière ? Si pour Nicolas Gerard CDO du groupe SEB  » le terme Test & Learn est devenu un cliché dans toute discussion sur le digital. [… ] pourtant, c’est un vrai défi. […] Oser essayer et risquer l’échec, c’est la clé ! « 4
Pour son homologue chez Renault, son de cloche identique. Adepte du « learn to fail » il faut apprendre de ses échecs et accepter d’échouer. « Parfois, mieux vaut une décision médiocre mais prise dans l’heure qu’une décision brillante prise avec un mois de retard ! »2 souligne-t-il. Il s’agit d’un pragmatisme assumé : au pire on échoue rapidement, on en profite pour analyser l’échec au plus vite et rebondir sur une meilleure solution. Au mieux, on réussit avant les concurrents, même si la concrétisation n’est pas parfaite. Et dans ce cas encore, on peut toujours améliorer. Il faut donc beaucoup d’humilité et pousser tout le monde à oublier la culture de l’ingénieur. Notamment en France où l’on préfère réfléchir beaucoup avant d’agir.

Quoi qu’il en soit, la communication est également clé. Communiquer régulièrement sur les projets en cours, de manière concrète, permet de diminuer l’anxiété des collaborateurs, qui peuvent entrevoir le digital comme une boite noire. Certaines entreprises le font à travers la création d’un réseau social interne. On peut y valoriser par exemple des « trophées de l’innovation en interne »qui « visent à récompenser les initiatives des collaborateurs, qu’il s’agisse d’espoirs, c’est-à-dire d’idées, ou de succès. »développe Pierre-Philippe Cormeraie Chief Digital Officer du groupe BPCE.

Pour faire monter en compétence les collaborateurs, mettre en place des MOOC (formations en ligne) sur le principe du volontariat est une piste. Si on l’associe à de la “gamification” pour rendre l’apprentissage ludique via un jeu avec des récompenses, même honorifiques, alors on met davantage de chances de son coté pour désacraliser le digital, le rendre plus accessible.

Prévoir, anticiper l’avenir

le chief digital officer doit regarder vers l'avenir

le chief digital officer doit regarder vers l’avenir

Le Chief Digital Officer, dans sa représentation la plus large et stratégique, possède aussi une vison à long terme. Il essaie d’anticiper au mieux les changements liés au digital, en terme d’usages, de business model, de concurrence inédite. Son goût personnel pour la nouveauté et son ouverture d’esprit apparaissent donc comme des qualités essentielles. Il encourage également des initiatives de l’ordre de la pure innovation au sein par exemple d’un “lab” en interne. Enfin, nouer des partenariats avec des incubateurs, des fonds d’investissement spécialisés en innovations, participer à des clubs et des tables rondes sont pour le CDO autant de moyens pour garder un pied dans la prospective. Et, nous l’imaginons, surveiller la concurrence…

Quant à l’avenir de cette fonction, certains pensent qu’elle n’existera plus dans 10 ans. D’autres rappellent qu’il y aura toujours de l’innovation digitale nécessitant une adaptation de l’entreprise, et donc un responsable pour la mener.

SOURCES

1 : SANDRINE GODEFROY, CDO ECONOCOM : « LA #TRANSFONUM EST UN TERRAIN DE JEU QUASI INFINI ! »
2 : PATRICK HOFFSTETTER, CDO RENAULT : « IL FAUT EMBARQUER L’ENSEMBLE DES SALARIÉS DANS LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE »
3 : ANTONIA MCCAHON, CDO PERNOD RICARD : « LE DIGITAL EST INTÉGRÉ À TOUT CE QU’ON FAIT »
4 : NICOLAI GERARD, DIGITAL ACCELERATION OFFICER DU GROUPE SEB : « OSER ESSAYER ET RISQUER L’ÉCHEC, C’EST LA CLÉ ! »
5 : EXPÉRIMENTER POUR MIEUX TIRER PARTI DES OPPORTUNITÉS DU DIGITAL – ENTRETIEN AVEC PIERRE-PHILIPPE CORMERAIE, DIR. INNOVATION DU GROUPE BPCE