Cet article est la transcription presque complète de l’interview de Jeremy Owyang, influenceur américain sur l’économie collaborative que vous pouvez retrouver en intégralité et en podcast en anglais sur le blog de Jacob Morgan : The future organization.
Ce post est rédigé avec l’accord de Jacob Morgan.

Jeremiah Owyang , vous êtes le fondateur de la société « Crowd company », quelle est votre définition de l’économie collaborative ?

C’est un phénomène ancien et moderne à la fois. Il y a quelques centaines d’années,les noms des gens voulaient dire quelques chose, c’était la profession qu’ils avaient.Les artisans, pêcheurs, fermiers mettaient déjà en commun leurs outils, leur savoir-faire. Avec la révolution industrielle, les activités sont devenues de plus en plus segmentées et on a créé les usines. Aujourd’hui, on voit réapparaitre le besoin de mettre en commun et ceci est rendu possible grâce à l’évolution de la technologie. On voit les gens transformer leur maison en hôtel avec AirBnB ,on voit les gens travailler de là où ils souhaitent avec Odesk qui crée une market place globale de travailleurs. Les gens transforment leur voiture en moyen de transport grâce à Uber ou Lyft ou encore vendent leur propre production directement sur Etsy ou en utilisant les nouvelles technologies comme les imprimantes 3D. Dans tous ces cas, ils deviennent micro-entrepreneurs générant cette économie collaborative où tout le monde collabore et utilise les nouvelles technologies.

Pourquoi y a t-il un si grand intérêt pour l’économie collaborative et pourquoi c’est si disruptif ?

Deux raisons principales : l’impact social et l’impact économique. D’abord social car cela permet aux individus de générer un revenu sans avoir à travailler pour les sociétés traditionnelles. Il y a aussi un impact social lié au développement durable quand les gens covoiturent ou partagent un bien. C’est un vrai changement de consommation. Il y a des gens à qui cela ne plait pas du tout ,les hôteliers ou les chauffeurs de taxi qui sont furieux. Donc d’un côté, on a beaucoup d’espoirs et d’opportunités pour l’environnement et de l’autre côté, on a des secteurs qui sont en pleine disruption.

Les voitures sans chauffeur arrivent, que va-t-il se passer quand les robots vont arriver dans l’économie collaborative ?

En effet, si on se projette dans 10 ans ou dans quelques dizaines d’années, les robots et l’intelligence artificielle vont créer une disruption de l’économie collaborative qui est aujourd’hui basée sur des humains. Mais nous en sommes encore loin car même si la GoogleCar roule, il y a beaucoup de contraintes en termes d’assurance et ces voitures ont encore du mal à gérer la priorisation des évènements et notifications à traiter. Donc on en est encore loin mais cela va arriver. Je ne pense pas que ce soit des millions de jobs qui vont être impactés mais des milliards. Mais pour le moment, je me focalise sur ce qui se passe aujourd’hui et les modifications attendues dans le commerce.

Quels sont les secteurs qui sont le plus concernés par l’économie collaborative ?

Les gens partagent pleins de choses. J’ai créé un schema du maillage de l’économie collaborative . C’est une façon visuelle de représenter l’économie collaborative à partir de 6 environnements qui vont vivre une disruption.

Schema 6 axes de l'économie collaborative

Credit : J Owyang – Crowdcompanies.com

 

  1. Le premier est celui des biens. Les personnes vont pouvoir fabriquer des objets et partager ce qu’ils possèdent déjà. Ils peuvent partager leurs jouets sur Pley.com ou ils peuvent louer un sac à main sur une plateforme de partage comme Bagborrow or Steal ou encore Yerdle qui est un App géolocalisée qui vous permet d’acheter à des voisins des objets dont ils ne veulent plus.
  2. Le second environnement est la nourriture, ce qui est assez étonnant quand on y pense. Il y a de nombreuses start-ups qui propose des repas partagés. Par exemple Munchery qui a une cuisine partagée et qui n’a pas voulu créer de restaurants . Il vous livre la nourriture quand vous le voulez. On voit aussi des gens qui transforme leur propre cuisine chez eux en restaurant sur le même principe que AirBnB permet de louer une chambre chez soi.
    On voit des gens utiliser des sites comme cookening ou feastly ou ils organisent des fêtes pour lesquelles ils invitent des étrangers ce qui leur permet d’avoir de réelles conversations ce qui n’est pas possible dans les restaurants traditionnels. C’est choquant pour certains.
  3. Le 3eme axe concerne les services comme les services professionnels, nous avons déjà parlé de Odesk mais il y a aussi Airpr qui est une place de marché pour les professionnels des Relations publiques ou encore des sites grand public de mises en relation comme TaskRabbit qui vous permet de contacter tout type de petits professionnels pour tout types de services qui réagissent très vite, à la demande, par exemple pour préparer un repas. Il y a même un site de livraison de marijuana donc tous les services peuvent être concernés.
  4. Le 4ème concerne les transports. On voit des personnes partager leur véhicule ou des services autour des déplacements. Ils partagent leur voiture personnelle sur Relayrides ou Getaround ou encore leur bateau sur boatbound. Nous avons déjà parlé des services comme Uber ou Lift qui permettent de transporter quelqu’un dans votre voiture. Il y a plein de variations autour des véhicules, vélos, hélicopteres, avions, etc…
  5. Axe n° 5 : L’espace. On a déjà parlé d’AirBnb qui permet de partager un logement, une chambre. Nous sommes déjà habitués à ce concept mais il y a plein d’autres variantes, vous pouvez mettre à disposition vos placards ou un espace dans votre cave, votre garage avec roost.com une start-up de San Francisco. Au niveau professionnel, on voit se développer les espaces de coworking où ‘on peut louer de l’espace pour 1mois, 1 jour, 1 heure.
    Le dernier axe est l’univers de l’argent. On voit apparaitre beaucoup de choses autour du phénomène collaboratif. Le plus visible est le crowdfunding qui permet de financer des projets sans passer par les banques comme Kickstarter ou Indiegogo. On voit également se développer les prêts entre personnes privées sur lendingclub.com. Cette jeune start-up de Google a prêté 5 Milliards de $ en moins de 5 ans en by-passant des banques. Et enfin, les gens sont en train de créer leur propre monnaie, s’affranchissant des systèmes bancaires fédéraux traditionnels comme par exemple avec le Bitcoin.
    Voici donc les 6 domaines dans lequel l’économie collaborative évolue actuellement. Il y en aura sûrement d’autres dans le futur. Nous en reparlerons plus tard.

Avez-vous modifié votre comportement avec toutes ces évolutions ?

Oui, je fais attention à ce que je possède, pour le garder en bon état parce qu’il pourra servir à quelqu’un. Quand j’ai besoin de queque chose, je regarde d’abord si je peux l’emprunter à quelqu’un qui n’en a pas besoin ou bien l’acheter à quelqu’un qui ne s’en sert plus. Quand j’achète, j’essaie de le faire auprès d’un site de partage. Par exemple, pour les jouets de ma fille, j’utilise Pley.com. Pour les parents, combien de temps avez vous besoin de pâte à modeler, 1, 2 ou 3 ans ? parce qu’après votre enfant va jouer avec des legos.

Comment les différentes générations réagissent vis à vis de l’économie collaborative ? Mon père est un peu sceptique…

D’abord, challenge your dad… Nous voyons en effet des différences entre les générations. J’ai conduit une étude avec mes partenaires VisionCritical de Vancouver et nous avons fait une grande enquête auprès de 90000 personnes du Canada, Etats-unis et Royaume uni. Nous avions aussi des retours d’études faites auparavant comme en Australie, donc nous avons bien une vue mondiale. Nous avons retrouvé dans tous les pays industrialisés la même grande tendance concernant le partage des biens et la collaboration. Par exemple, à peu près 30% des adultes utilisent eBay en amérique du nord ou UK pour partager des biens. On a vu que dans les zones urbanisées, les revenus liés au partage de produits hi-tech étaient plus élevés. Donc, il est sûr que plus le taux d’adoption de l’économie collaborative est fort, plus les revenus de cette économie évoluent. On peut donc imaginer que les taux d’adoption de ces pratiques vont augmenter plus fortement dans les zones denses. Ce critère sera plus pertinent que la différence d’adoption selon les générations. Le développement d’Ebay dans le monde montre que c’est une vraie tendance de fond.

Qu’est ce qui fait que les gens se tournent vers l’économie collaborative ?

Ce sont des facteurs micro-économiques et macro-économiques. Quand on a fait cette étude sur 90000 personnes, on a vu que la raison principale pour laquelle les gens partagent, c’est le côté pratique et le prix. C’est facile, c’est rapide de trouver les choses chez vos voisins près de chez vous. Ils indiquent aussi que ce mode de consommation leur apporte une expérience différente. Quand vous louez avec AirBnB, il y a quelque chose de magique de loger chez un local à Brooklyn…plutôt que d’aller dans un hôtel. Le dernier point est l’altruisme. Aider les autres et agir pour l’environnement sont des bénéfices appréciés dans le partage.

Il y a aussi des gens qui créent ces services et là c’est le côté macro. Il y a des raisons sociétales qui l’expliquent. Par exemple, prenons le développement durable qui inquiètent beaucoup de monde ou encore la densité des villes. De nombreuses personnes ne peuvent pas faire autrement que de vivre en périphérie des villes et les gens qui vivent au centre ne peuvent plus avoir de voitures. Et puis, il y a aussi les raisons économiques. Nous vivons une période de récession et nous voyons des gens qui protestent, occupent Wall Street. Pourquoi est ce que la richesse profite à 1 % des gens et que les 99% autres doivent se battre ? maintenant les 99% peuvent faire du commerce Peer to Peer à travers les start-ups qui proposent des nouvelles technologies.

La dernière raison est liée aux nouvelles technologies. Les réseaux sociaux, par exemple. AirBnB utilisent les API Facebook et permet de vous relier avec vos amis et de savoir qui de vos amis ou des amis de vos amis a déjà été à tel endroit ou qui loue un bien. En tant qu’analyste de cet univers, je peux dire que le développement des réseaux sociaux est l’une des clés les plus importantes des prochaines années. Il y a aussi le développement du mobile et surtout l’augmentation des paiements sur mobile. Autre chose qui n’est pas suffisamment connue,c’est l’énorme levée de fonds qui se fait sur le net. De janvier à août 2014,2,5 Mds de $ ont été trouvés sur le net pour environ 30 starts-up soit une moyenne de 300 millions de $ récoltés par mois ! et cela est un changement massif.

Quel est l’impact de cette économie collaborative sur les entreprises ?

Les entreprises commencent à comprendre et que les « empowered people » c’est à dire les gens qui participent à cette économie sont différents des consommateurs, les entreprises doivent les considérer comme des partenaires et non des simples consommateurs. Certains impliquent déjà leurs clients dans le processus de création des produits.

Quelles sont les premières compagnies ou les plus leaders sur le mouvement collaboratif ?

Credit Union très investi sur internet. Etsy, Uber, Lync, AirBnB…

Est que louer est la même chose que partager ?

make, share, loan, rent…. On peut utiliser plein de termes différents concernant l’économie du partage. Il y a de la location bien sûr mais pas seulement. Il y a aussi bcp plus de possibilités dans l’économie du partage.

Quel est l’impact de l’économie collaborative sur les gouvernements ?

Il est important de travailler sur la sécurité. Les entreprises focalisent sur les impacts sur la sécurité des données, la sécurité en général, les données de confiance, la régulation, et les taxations parce qu’il y a bcp d’argent concerné Il y a actuellement un fort travail des lobbies sur le sujet.
Il y a des règles qui apparaissent par exemple en Californie concernant l’obligation d’une assurance particulière couvrant le conducteur et le passager pour des services comme Uber.
Mais la régulation sera différente selon les endroits. Par exemple à Paris, il y a eu des heurts très forts entre les taxis et les chauffeurs d’Uber obligeant le gouvernement à légiférer.
En Chine, le gouvernement a sponsorisé sa propre version d’Uber et la même chose en Corée du sud.

Quels sont les effets négatifs ou les problèmes qui peuvent apparaître avec l’économie collaborative ?

La perte de jobs : à NewYook un taxi va débourser  1M$ pour sa licence, c’est vraiment embêtant pour eux. Je ne le souhaite pas mais c’est un moyen pour eux de modifier leur business. Parlons des taxis, on a comparé les services d’un taxi et d’un Uber. Les gens n’aiment pas les taxis alors qu’ils disent qu’ils aiment Uber. Et la question est pourquoi est-ce que les clients des taxis ont une image si négative de leur service. Nous ne parlons pas de personnes mais du service en général. Peut-être qu’il faut se poser la question et faire évoluer cette corporation. Aujourd’hui, ils sont protégés par leur statut.
Les consommateurs sont aussi « notés » par les chauffeurs d’Uber. C’est un grand changement. Cela pousse à améliorer les attitudes de chacun.

Y a-t-il des risques dans le futur de l’économie collaborative ?

Oui, il y a des risques. Voici les 3 principaux:
1. Les investisseurs qui ont investi dans les start-up du collaboratif veulent un retour sur investissement à 5 ou 10 ans (en moyenne, ils attendent un bénéfice à hauteur de 10 fois leur mise). Cela fait que ces plateformes vont devoir monétiser leur système et cela peut limiter le développement collaboratif en ayant un fort recours à la publicité et au marketing à l’image de ce qui se passe sur Facebook ou Twitter.
2. un autre risque concerne les droits des travailleurs qui ne travailleront plus pour une grosse compagnie mais deviennent leurs partenaires et donc ne profiteront pas des avantages que fournit une entreprise comme l’assurance santé.
3.Le 3ème concerne la mesure du développement économique des pays sur lequel est basé de nombreuses prestations. Aujourd’hui , la richesse est mesurée sur des indicateurs de production et de consommation. Ce modèle ne va plus refléter le succès économique d’un pays car il n’intègre pas les échanges de biens non produits.

Les personnes générant des profits de ces activités collaboratives sont tenues de déclarer leur revenus et de payer des impôts mais cette activité n’est pas visible dans le PNB.

Quelle est votre vision du futur ?

En 1994, quand vous aviez créé un site internet , vous pouviez parler au monde entier mais cela demandait un savoir faire technique
2004 : un certain Mark révolutionne internet en proposant de parler au monde entier sans connaitre l’informatique , c’est Facebook.com
2014 : Aujourd’hui , les gens peuvent fabriquer, vendre , prêter, échanger leurs biens dans le monde entier à travers l’économie du partage et les médias sociaux.
Nous sommes actuellement sur une tendance de fond, l’adoption en masse de ces systèmes collaboratifs. Cela va entrainer des grandes discussions, des règlementations mais cela va avancer.
Dans 10 ans, je pense que les gens préféreront louer que posséder : « Accès aux choses plutôt que possession ». ils travailleront moins parce qu’ils auront moins de dépenses ou alors ils travailleront quand ils le souhaiteront donc on va aller vers plus de liberté pour les travailleurs et plus d’efficacité pour créer des biens. De même façon, les entreprises vont se rendre compte qu’il faut produire de façon plus durable et améliorer la durée d’obsolescence des produits. Cela est bon pour la planète.

Quels conseils pouvez-vous donner à des individuels qui aimeraient se lancer dans ce nouveau système et de même façon quels conseils donneriez-vous à des entreprises qui veulent s’investir dans cette économie ?

Pour les particuliers, commencez à utiliser des services comme Uber, AirBnb et vous verrez les avantages que vous pouvez en tirer. Pour les entreprises, il y a vraiment une opportunité pour connecter les gens et modifier les business models, modifier la vente traditionnelle de biens en location de biens comme BMW qui propose de louer des voitures de leur propre flotte ou encore WallMart qui a créé un site en ligne où on peut partager ses vieilles vidéos et pensez également comment vous pouvez travailler avec vos clients qui peuvent contribuer à la création de vos produits ou services. Cela demande de réfléchir à un autre business model.

Le podcast complet est publié sur le site de Thefutureorganization.com . Il a été publié par Jacob Morgan
Vous pouvez retrouver Jeremiah Owyang sur son blog web-strategist.com ou sur le site de sa société de conseil crowdcompanies.com

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