Nos candidats aux élections présidentielles se sont basés sur des stratégies et des outils venus des États-Unis — ayant porté Obama puis Trump au pouvoir. Pour la campagne des élections en France, sur quelles techniques d’analyse de data se sont appuyés les candidats ? Quels ont été leurs outils de conversion « massive » ? Quelles sociétés du big data œuvrent en coulisses pour emporter cette guerre éclair de 3 mois ? Ou pour affiner le data-journalisme ? Décryptage.

Le buzz médiatique de campagne

Adrénaline Studio. Le coup de l’hologramme de J.-L. Mélenchon c’était eux. Le candidat, hop! dédoublonné en un claquement de doigt à Lyon, et Aubervilliers, s’adressant simultanément à 10.000 personnes. Une prouesse technologique programmée au millimètre près pour surprendre une audience engagée.data Marketing buzz election presidentielles

La « cible » est filmée en chaire à Lyon. L’image, elle, est reconstituée grâce à des vidéoprojecteurs disposés un peu partout à Aubervilliers et projetée sur un écran au sol, invisible pour le public. Pour ne pas être hors-champ caméra, le périmètre de déplacement du candidat est restreint. Les couleurs sombres étant invisibles en technique hologramme, J.-L. Mélenchon s’est vêtu de bleu.

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Recherches sur le nom « Mélenchon » sur Google et dates de ses apparitions en hologramme.

Le 18 avril, il récidivait en 7 endroits différents selon le même procédé.

Sur la courbe du nombre de recherches « Mélenchon » sur Google, on peut y voir un pic à chaque événement « hologramme » orchestré. Le buzz mėdiatique, ça marche, mais pas que…puisque le 1er dėbat TV, lui, a vėritablement fait dėcoller la curiositė des internautes sur Google. Pourquoi ? Lisez le dernier titre « Assister par la data technologie« , Analyse des data ėmotionnelles.

 

Supports de communication puissants et économiques pour créer un vivier

L’arme numérique n’a pas de secret pour les candidats à la Présidentielle 2017 : élargir l’audience et ouvrir l’accès à un vivier d’électeurs, ce, sans intermédiaire. Fer de lance des techniques marketing bien rodées: la segmentation au service du ciblage électoral a permis de cartographier des électeurs qui ne se déplacent jamais dans une réunion publique, de les toucher sur les réseaux sociaux où ils partagent habituellement avec leurs cercles, de multiplier les points de contact pour un même électeur ATAWAD (anytime, anywhere, any device).

1 Français sur 2 regarde YouTube ? François Asselineau en maîtrise les codes depuis plusieurs années. Organisant une vidéo «live» lors de sa campagne, son compte a été vu plus de 15 000 fois. Compte tenu d’un reach faible sur les médias traditionnels (débats TV, interviews exclusives, etc), la puissance de la plateforme vidéo lui a permis de gagner en e-réputation grâce à l’utilisation d’un vecteur sous-utilisé par les candidats.

Avec 60K abonnés, il enregistrait plus d’engagements qu’E. Macron, F. Fillon ou M. Le Pen. Macron a privilégié Facebook Live: meetings en format brut et audience qualifiée pour les messages qu’il voulait faire passer. Mais aussi pour un des moments les plus risqués de sa campagne: le déplacement à l’usine Whirlpool d’Amiens.

La social listening data pour conforter la stratégie

Il n’a échappé à personne que les conseillers de communication de campagne jettaient des coups d’œil anxieux sur l’écran de leur téléphone, tandis que leur candidat s’exprimait en tribune. L’e-réputation est en jeu et peut devenir un champ de ruines en quelques heures par ce qui se véhicule sur les réseaux sociaux.

Les conseillers de campagne vėrifient en permanence la fidėlitė des propos du candidat sur les rėseaux – les fameux # font l’objet de batailles acharnėes ! -, de même que l’ėcart entre le message et ce que l’inconscient (ou la conscience au contraire) collective en retient. Autant corriger rapidement le tir dės la remontée des data du social listening !

Les ėquipes de campagne savent que le champ lexical ne sera pas le même d’une plateforme á une autre. Chacune son audience, ses spécificités, et…son registre de mots comme pour le cas Pinel ci-dessous.

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Candidat Pinel. Les mots employés à son sujet dans la presse ou les blogs en ht. sont assez marqués par son « genre » car c’est une candidate. En bas, les mots qui lui sont associės sur Twitter sont d’un tout autre registre (source site Ipredigo, Google).

Brandwatch a analysé 400 000 mentions postées par 95 615 auteurs uniques sur le web social entre 20h00 et 23h59 le 20 mars, soirée du débat TV mettant côte à côte les 5 candidats récoltant le plus d’intentions de vote.

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Voici la datavisualisation.

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Les calculs d’écoute des réseaux sociaux sont parfois qualifiés de simplistes et ne vaudraient pas grand-chose face à la dynamique d’une campagne ? Pas si sûr…

« Tout peut changer en trois mois de campagne » remarque N. Chapuis, chef du service politique du Monde. Autant dire que la bataille n’est gagnée qu’à la dernière minute, que l’analyse de l’activitė des rėseaux sociaux est l’arme de derniėre main quand l’ensemble de la stratėgie tourne mal.

Comme pour le marketing d’entreprise, la stratégie de promotion d’un candidat ne peut être qualifiée d’efficace et être maintenue, que si elle est mesurée et que les indicateurs sont au vert. Des métriques et KPIs sont indispensables :

  • Les sujets mis en avant par le candidat sont-ils bien accueillis sur les médias sociaux ? Sont-ils relayés ? (les fameux « # » sur Twitter)
  • Quels sentiments ces sujets génèrent-ils ? (émoticônes, Like)
  • Où concentrer les efforts pour optimiser les résultats ?
  • Quels sont les points de rejet générant un sentiment négatif ? Donc à éviter absolument pour ne pas plomber les intentions de vote, sur le court temps imparti ?

Le 25 Janvier, Synthesio mesurait en temps réel sur les réseaux, un pic de mentions à #Fillon soit +230% (+74 271 mentions). Normal: à 3 mois de l’élection, F. Fillon était le candidat dont les internautes parlaient le plus. Toutefois, la société mesurait que 50% des mentions à F. Fillon faisaient référence à l’affaire « #Penelope Gate » qui avait éclaté ce jour-là; ce qui mesure l’impact de ce dossier sur la part de voix du candidat.

Ces mesures permettaient une prise de décision rapide par le parti. En effet, après le début de l’affaire, sur la base d’analyses semblables, la droite envisageait en urgence un plan B ! Le titre « Assister par la data technologie« , la prėdiction la plus juste,  vous dit pourquoi F. Fillon pouvait vraisemblablement avoir toutes ses chances au 1er tour…

Analyser la data du web pour benchmarker

@Alexa et Baroweb ont publié chaque semaine un bulletin météo du trafic des sites web des candidats. Ils en ont mesuré les progressions au fil des rebondissements de la campagne, mais aussi les engagements sur Twitter, Facebook, Instagram et YouTube. Ce sont ces mêmes mesures qui ont permis de prédire la victoire aux primaires du candidat de droite, F. Fillon, et de gauche B.Hamon.

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En ht. juste après le « Penelope gate », le trafic sur le site du candidat Fillon n’est pas [encore] particulièrement défavorable sur le classement; il le sera par la suite. En b. les candidats arrivent à des niveaux d’engagement hétérogène, suivant les réseaux sociaux.

D’emblée, ces classements et web analyses sont des postes de surveillance avancés sur l’ensemble des candidats, afin de conforter ou au contraire d’adopter de nouvelles tactiques de communication de campagne, y compris bien sûr la social media stratégie, réseau par réseau, puisque l’audience y est différenciée.

Datavisualiser la viralité pour prendre les bonnes décisions, vite

Avec la mise en accès libre des données issues des réseaux sociaux, il est désormais possible de cartographier comment les opinions s’y propagent. Une tâche titanesque à laquelle s’est attelé Nicolas Vanderbiest, spécialiste des phénomènes d’influence, doctorant à l’Université catholique de Louvain.

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Pour la présidentielle française, il s’agirait d’au moins 10 millions de données traitées. Comme en marketing, la question de l’authenticité de cette viralité réside dans la part d’activitė des robots. « Moins de 5% de bots dans les tweets, mais le nombre de clics rémunérés est impossible à déceler », répond le spécialiste.

Se pose aussi la question en cas de viralité sur un sujet qui dessert totalement un candidat: la datavisualisation permet aussi de prendre de bonnes décisions, rapides, dans des situations de crise.

Méthode big data pour affiner la conversion

Le porte-à-porte intelligent…La start-up LMP appliquait le big data au militantisme de terrain. Elle a accompagné E. Macron durant la chasse aux voix : les indécis et les abstentionnistes. En croisant les open-data de l’Insee (catégorie socioprofessionnelle, âge, etc) et les comportements des électeurs lors des derniers scrutins, le logiciel de LMP, 50+1, a repéré, bureau par bureau, les quartiers où le candidat Macron avait une probabilité minimale de gagner des voix.

Celui-ci y a envoyé ses forces de vente, pardon! ses équipes de militants. Elles ont pu arpenter le terrain en toute connaissance de cause. De quoi obtenir des taux de conversion « quick-win ». Comme des clients ayant dėjá achetė une marque, ils étaient thėoriquement pré-sensibilisés.

Du côté des électeurs exprimant leurs réactions, leur lexique est bien sûr aussi passé au crible des logiciels d’analyse Big Data. De quoi « mesurer » les mots: les attentes, les espoirs. Pour en mesure l’importantce, c’est leur occurence qui va guider les communicants de campagne; de même, les vocables en forte progression, le changement de registre lexical après certains moments forts de la campagnes (comme le « Penelope Gate » ou les débats TV), enfin de déterminer à quels contextes ces mots ėtaient rattachės (technique de co-logométrie).

Nous avons ainsi traité pour eux [les équipes d’E. Macron] l’intégralité des paroles recueillies sur le terrain par les militants

explique François-Régis Chaumartin, P-DG de Proxem. Son moteur sémantique a permis de hiérarchiser les valeurs qui comptent pour les Français, à partir de puissants moteurs d’analyse sémantique enrichie de couches de machine-learning pour traiter les volumes en peu de temps.

Federavox, choisie par F. Fillon a pu indiquer au candidat où tenir des meetings, dans quelles communes il avait le plus de chance de trouver des soutiens, dans quels territoires former les aides de camp et adapter son discours.

En cible : la conversion, donc le vote !

Employer la data guérilla 2.0

La data guérilla est issue du territoire national … Cependant, les gros moyens en matière de fausses actualités et tactiques de déstabilisation proviennent des autres territoires.

Bakamosocial, consultants en social listening, passe en revue les techniques de désinformation aux élections présidentielles, en d’autres terme, les fake news. Lors de la campagne, il détecte que :

  • Environ 75% des liens partagés appartenaient à des sources d’actualité traditionnelles, ainsi qu’à des sites officiels des candidats et des partis,
  • Près de 20% des liens partagés sur les réseaux sociaux en avril proviennent de sources qui contestent les médias traditionnels et représentent l’univers des sites potentiels de désinformation, dont 30% de sites web sous influence russe.

La société relève que les techniques de désinformation comprennent généralement des faux-semblants de crédibilité, des sondages non-scientifiques, la soustraction des articles de leur contexte historique, ainsi que de simples canulars.

Twitter ou Facebook ont également un rôle à jouer pour galvaniser les militants et orchestrer les soutiens, mais aussi dans la « zone grise » des campagnes de diffusion de fausses rumeurs.

Enfin, certaines cellules de militants utilisent des outils de conversation privés et anonymes comme l’application Discord. Là, les utilisateurs se concertent pour lancer des actions de dénigrement d’un rival sur les réseaux sociaux. Une technique de propagande connue sous le nom d’astroturfing.

Assister par la data technologie : jusqu’où ?

La connaissance de l’électorat, son activation (en cas d’abstention importante), les expressions et sentiments exprimés sur les réseaux sociaux par les électeurs, et bien sûr la prėdiction que l’on peut tirer de ces méthodes sont des résultants bien trop précieux.

Les candidats et hommes politiques du monde entier l’ont intégré : plus aucune campagne d’élections, de niveau régional à national, ne pourra se faire sans s’arroger ces techniques issues du data-marketing et du big data.

Les ėlections du futur verront un véritable déploiement des dernières avancėes en data-technologie pour hisser un homme ou une femme à la tête d’un pays.

Mais il existe des domaines réservés dans lesquels les techniques n’ont pas encore donnė des résultats probants…

  • La prédiction la meilleure : la data météo appliquée au chiffre d’affaire d’un produit présente aujourd’hui des résultats proches de la réalité (notre article précédent « Data-météo: et si c’était la 4e dimension de la connaissance client ? »). Pour les élections, c’est une autre histoire. Les algorithmes donnaient F.Fillon et M. Le Pen vainqueurs au 1er tour. Ces rėsultats n’auraient-ils pas incitė le candidat Fillon – objet de bad buzz en social listening – à rester dans la bataille, contre vents et marėes? Cela a sans nul doute pu conforter ses équipes et le candidat.

Predict the president, une initiative de l’école d’ingénieurs Telecom Paris Tech, comme la société canadienne Filteris, auront échoué – en croisant les data du bruit médiatique, des open data (taux de chômage, couleur politique du président du conseil départemental, densité de population, historique des votes depuis 1981) et les intentions de vote historisées dans les sondages des campagnes passées.

La technique big data, elle, a-t-elle vraiment échoué ? Pas nécessairement. Comparée aux pronostics des agences classiques, les algorithmes du big Data auraient nécessité une profondeur d’historique plus importante, à méthode de collecte constante… Or, ces conditions n’ont pu être réunies sous les scrutins de la Ve République depuis Charles de Gaulle, vous pensez bien…avec le téléphone fixe comme source de data et des rames de papier pour les consigner.

Ce serait davantage une question de « maturité ».

  • Etre conseillé à distance : en trouvant des leviers de réactions positives dans son audience, il est très tentant de les utiliser en temps réel : savoir instantanément qu’il faut intensifier telle locution à influence positive selon les analyses rapides du social listening ou du web analytics, ne pas aborder telle sémantique qui a crée un bad buzz sur les 5 derniers jours… Autant d’obstacles et de bad buzz, qui pourraient être évités et ne pas être repris en boucle par les médias avec l’impact considérable que l’on devine. Quelques dixièmes de point sont en jeu.

Cela reviendrait-il pas à se laisser coacher et conseiller à distance comme cela a été révélé (et avéré) pour le candidat Fillon au débat télévisé entre les 5 candidats? La situation n’est pas passée inaperçue, le candidat était distrait, les réseaux sociaux ont commenté, et il ne fait nul doute que cela a été pénalisant aux urnes.

  • Mesurer l’influence émotionnelle : nourrie par les neurosciences, le laboratoire des feel data ou données émotionnelles de Datakalab a collecté et traité en temps réel les signes physiologiques et physiques, traduisant les émotions et l’engagement d’un panel de 30 personnes.

Pour les 1er et 2e débats électoraux, il a calculé un « score émotionnel » pour chacun d’eux. Lors du débat télévisé des 5 principaux candidats, J.-L. Mélenchon générait le plus d’émotion, puis M. Le Pen et E. Macron. Pour le même débat, Brandwatch annonce: « une analyse du sentiment pour chaque candidat démontre que si Benoît Hamon n’a pas récolté autant de mentions [sur les réseaux] que ses opposants, c’est lui qui obtient la part de mentions positives la plus importante (77,6 %) ».

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Brandwatch: lors du débat TV opposant les 5 candidats, B. Hamon emporterait le suffrage émotionnel. Oui, mais est-ce le levier de conversion?

Comme en neuro-marketing, les leviers émotionnels n’ont pas livré tous leurs secrets et les indicateurs de mesure ne sont pas prêts d’être standardisés.

 

Un marketer un brin taquin verrait dans le panel des techniques utilisées en coulisses par les candidats à la présidence: l’absence de campagne emailing et de campagne publicitaire automatisée.

Justement !… L’achat d’espaces publicitaires, y compris sur les réseaux sociaux, existe bel et bien à des fins de campagne. Mais aux Etats-Unis; la pratique est interdite en France.

Les élections présidentielles ont offert une opportunité inédite et mondiale pour une multitude de sociétés de social listening et d’analyse data de convaincre sur la solidité de leurs algorithmes ou de leur pattern (s’agissant du machine-learning). Tant d’expertises sur un même « cas » pourraient devenir un cas d’école sur les méthodes de prédiction de l’imprédictible électeur. Et afin qu’il le devienne de moins en moins, de gros volumes de data et des axes d’analyses divers auront été stockés pour les prochains scrutins.

Vous-mêmes, auriez-vous songé à une telle profusion de technologies et de data, en passant devant les affiches des candidats collées devant les écoles… et les bureaux de vote à l’ancienne ? Avez-vous une réponse à la question « qui du candidat ou de la Data ressort grand gagnant de ces élections 2017 ? »

Aujourd’hui, la vaste majorité des candidats a recours à ces produits assimilables à des outils de gestion d’une base de clients.

Federavox.