Un réseau social désigne l’agrégation de relations de nature très diverses, formelles ou informelles, ponctuelles ou continues. Elles peuvent concerner le réseau familial, le réseau d’entraide que peut représenter le voisinage, les réseaux de coopération entre chercheurs ou établissements, les causes partagées, les engagements militants,  les clusters ou encore les réseaux professionnels traditionnels.

La dénomination « Réseaux sociaux » est un excès de langage puisque les Facebook et autres Linkedin ne représentent pas l’unique forme de réseaux sociaux, c’est-à-dire de connections organisées entre individus.  Ces interactions entre personnes peuvent être multiples et se situer dans de nombreux contextes sociaux très différents dont certains n’ont pas nécessairement de liens avec Internet. 

Pour certains, les réseaux sociaux sont sans limites car le fonctionnement en réseau permet d’accéder à tous les points du réseau grâce à la démultiplication des points de connectivité intermédiaires. Stanley Milgram[1], en 1967, a montré qu’il suffisait de relativement peu d’intermédiaires (environ 5) pour se connecter à n’importe quel point d’un réseau. Ce nombre d’intermédiaires a encore baissé dans l’étude de Michel Forsé [2] en 2012 qui intègre les réseaux sociaux sur Internet puisqu’il est estimé entre 3 et 5.

 Mais est-ce qu’avoir la possibilité d’avoir un réseau social illimité modifie notre capacité à créer des relations sociales ?

Il y a en effet une différence notable entre les modèles mathématiques et les possibilités permises par la technologie et notre capacité humaine de nous mobiliser pour des relations interpersonnelles.

Même si nous connaissons 2000 personnes par leur nom, que nous avons 100 à 200 personnes que nous pourrions solliciter pour nous présenter à quelqu’un que nous ne connaissons pas, nous n’échangeons  régulièrement qu’avec 20 à 50 personnes (selon les études) et il n’y a que 3 ou 4 personnes à qui nous accepterions de faire des confidences.

Schéma réseaux personnels

Certains psychologues considèrent qu’il existe une limite cognitive de 150 liens stables que nous pouvons entretenir en même temps.

Par ailleurs, les études nous montrent que les ¾ de nos relations résident dans une zone géographique proche. Ces relations deviennent donc très fragiles quand nous sommes amenés à nous éloigner géographiquement. Internet nous permet de garder des liens forts avec des personnes qui sont physiquement loin mais ce sont en général les liens forts « famille », « amis proches » qui résistent.

Ces études nous montrent également que les relations se tissent sur une base qui n’a rien à voir avec le hasard : la plupart de nos relations se font dans un contexte collectif (famille, études, travail) ou concernent des personnes qui nous ont été présentées par des intermédiaires issus de ce contexte collectif. Il en résulte des effets d’homophilie importants sur la structuration des réseaux.

L’homophilie est la similarité de caractéristiques entre les deux personnes en relation. On peut évaluer une homophilie de genre, d’âge, de niveau d’études, de catégorie socio-professionnelle, etc.

On voit que cette homophilie est d’autant plus marquée qu’elle se trouve en zone de population dense. En effet, à Paris par exemple, les contraintes relationnelles sont plus faibles alors que la population est plus nombreuse. Il est ainsi plus facile de faire des choix dans l’établissement de ses relations et on a donc tendance à choisir des gens qui nous ressemblent.

Ce qui n’est pas vrai, à l’inverse, en zone moins urbaine, où la densité des réseaux est plus élevée. Les personnes sont plus soumises à la structure de réseaux déjà existants. Ainsi, un professionnel ne présentant pas au départ d’un contexte collectif favorable ne bénéficiera des avantages que procurent les réseaux car il n’aura pas les relations qui vont pouvoir l’aider à tisser son réseau. Et ça quelle que soit la technologie de connexion utilisée.

 

    Ségrégation douce par les réseaux sociaux

Michel Grosseti, dans son article « Que font les réseaux sociaux aux réseaux sociaux[3] » relate plusieurs thèses qui indiqueraient que les réseaux sociaux « virtuels » généreraient une légère baisse du nombre de liens « forts » et un accroissement de l’isolement des inégalités relationnelles. En effet, on constate que les plus favorisés bénéficient d’avantage des réseaux que les autres car ils ont plus de relations et que ces relations peuvent procurer plus d’aide. Les personnes ayant au départ un réseau plus riche du fait de leur origine sociale, de leur filière d’étude ou de leur secteur  professionnel vont voir leurs liens se développer grâce à la technologie.  « Ces effets d’homophilie peuvent être interprétés comme une ségrégation douce fabriquant de l’entre soi par le jeu des affinités et de la sociabilité ». Ils vont pouvoir garder actifs des liens faibles avec des personnes qu’ils pouvaient auparavant perdre de vue et élargir leur sphère géographique d’influence. A l’inverse, les personnes ne bénéficiant pas au départ d’un réseau géographique ou professionnel fort ne pourront pas profiter de l’effet réseau. On peut donc imaginer que les responsables de TPE – PME en zone rurale où la densité de relations homophiles est moindre auront beaucoup plus de mal à se constituer un « capital social » et des liens « forts »  sur ces réseaux sociaux.

 

    Enjeux socio-professionnels et individualisme

Dès l’arrivée des réseaux de type Facebook, Linkedin ou Viadéo, les sociologues se sont demandé si l’utilisation généralisée d’Internet allait faire évoluer les structures relationnelles sous l’effet de l’apport des nouveaux usages des technologies. Avec de multiples travaux sur le sujet et des conclusions parfois contradictoires, il est difficile de se faire une idée mais on peut au moins dire que ces « réseaux sociaux » favorisent des nouvelles formes d’engagement dans les relations interpersonnelles que certains n’hésitent pas à qualifier de « capital social[4] ».  On note de réels enjeux socio-professionnels liés à l’usage de ces réseaux sociaux : quête de visibilité, reconnaissance professionnelle, recherche de popularité sur les réseaux (#Kloutfight) qui peuvent mener à une industrialisation de la présence en ligne. L’analyse des usages professionnels de Twitter[5] conduite par JC Domenget en 2013 a montré l’existence de deux comportements opposés : une présence à visée authentique privilégiant la dimension relationnelle et une présence à visée stratégique cherchant l’efficacité.

Le développement d’Internet et de ces réseaux permet à l’internaute de devenir son propre éditeur et diffuseur de contenu. Il va pouvoir également se créer de nouvelles formes de construction de relations sociales. Ainsi, chacun va pouvoir se créer ses propres expériences d’Internet en relations avec ses besoins du moment. Chacun va construire sa propre communauté autour de lui en s’affranchissant d’organisations collectives[6]. Cela va avoir pour effet une individualisation de la recherche de relations créant une ambigüité entre la sociabilité qui est normalement par nature désintéressée et la création d’une stratégie sociale sur les réseaux pour se constituer une ressource sociale essentielle. En bref, apparait la notion de réseautage qui est facilitée par les réseaux sociaux à la différence des liens dits forts que peuvent générer un réseau social traditionnel.

Et vous ? comment construisez-vous votre réseau social ?

 

Cet article est lié aux recherches effectuées pour ma thèse « Réseaux pro traditionnels de partage d’expérience, quel enrichissement avec le digital ? »

 

Sources :
[1] Stanley Milgram, 1967, « The small world problem » Psychology Today, 2, pp 60-67

[2] Michel Forsé, 2012, « Les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Un monde décidément bien petit ». Revue de l’OFCE, 125pp 155-169

[3] Grossetti Michel, « Que font les réseaux sociaux aux réseaux sociaux ? », Réseaux 2/ 2014 (n° 184-185), p. 187-209
URL : www.cairn.info/revue-reseaux-2014-2-page-187.htm.
[4] Bourdieu Pierre. Le capital social. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 31, janvier 1980. Le capital social. pp. 2-3 url : /web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1980_num_31_1_2069

[5] JC Domenget Construire son e-reputation sur Twitter : les pratiques instrumentalisées des professionnels de la visibilité. Communication présentée au Colloque : « E-réputation et traces numériques : dimensions instrumentales et enjeux de société ». Toulouse
[6] Barry Wellman, 1996, « Computer networks as social networks : collaborative work, telework and virtual community », in Annual review of Sociology, 22, pp. 213-238