Dans ce 3e et dernier article, j’ai souhaité vous présenter un extrait de ma thèse intitulée « Quel est l’apport du digital sur l’expérience client du tourisme? Etude sur les Millenials ».

Mes recherches m’ont permis de me poser des questions bien au-delà du simple cadre de ma problématique et d’aborder des dimensions plus psychologiques et philosophiques.

Le voyage a-t-il perdu de son sens avec les outils digitaux ?

Extrait : 

Les outils digitaux qui nous accompagnent du début à la fin du voyage (1) ne nous écartent-ils pas de la notion même de « voyage » ? Car qu’est-ce que le voyage au fond ? Selon le Larousse, il s’agit de « l’action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger; séjour ou périple ainsi fait ». Il s’agit donc d’un déplacement dans le temps et dans l’espace, d’un trajet parcouru entre un point A et un point B. Mais le voyage n’est-il pas plus qu’un corps en mouvement ? Ecrivains, scientifiques, explorateurs, cinéastes, philosophes… tous ont voyagé et écrit sur le voyage.

Comme dirait Saint-Augustin « Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page.»

Bien évidemment le voyage révèle une dimension mystérieuse et imparfaitement humaine qui va bien au-delà de la notion de déplacement. « Il a toujours permis aux hommes de rencontrer l’ailleurs et les autres. Il leur a toujours permis de sortir de leur quotidien et d’eux-mêmes pour se connecter à  des univers et des populations inconnus avec en prime un lot de sensations et d’émotions souvent très positives (2) ».

Les analyses des pratiques touristiques réduisent les résultats et recherches à des données empiriques, des pourcentages et des chiffres. « Ainsi l’observation du voyageur comme personne – avec ses désirs, ses valeurs et ses rêves – disparaît-elle au profit de l’étude du fait de masse : sa quantité, son nombre, ses espaces, ses flux (3) » Certes ces informations ont leur utilité mais réduisent au silence l’aspect psychologique du voyageur, ses attentes et ses émotions… Car c’est aussi et surtout une « exploration, une découverte, une description de quelque chose qu’on suit comme un parcours ».

C’est une introspection intime et personnelle.

Le voyage n’a de sens que si l’âme se trouve également transportée, étonnée, surprise et questionnée. C’est une aventure intérieure permise par les rencontres inattendues faites au détour d’une rue, la découverte d’une culture qui nous transporte vers des questionnements intérieurs de rejet ou d’acceptation, des surprises bonnes ou mauvaises et de la spontanéité quand il s’agit d’aller vers l’autre, cet inconnu qui crée le voyage.

Le voyage a-t-il perdu de son sens avec les outils digitaux ?

N’est-ce pas tout cela qui en définitif construit le voyage en tant que tel? Pouvons-nous alors continuer à intégrer la notion d’étonnement et de surprises lorsque tous les outils digitaux concourent aujourd’hui à organiser, prévoir, anticiper tout ce qui peut arriver d’un bout à l’autre de la chaine du voyage, jusqu’à la visite de la chambre d’hôtel dans laquelle nous allons dormir ? Les plats que nous allons manger et la culture que nous allons découvrir ?

Comme l’exprime si bien Jean Didier Urbain

« De même, côté découverte, est-on passé du plaisir à la peur. Si l’on partait jadis à l’aventure, avec un certain goût de l’imprévu, l’on s’en va aujourd’hui bardé d’informations, de prévisions, de réservations et d’assurances en tous genres. Rien n’est plus désagréable pour cet « aventurier » contemporain, toujours en lien sur le Net, avant, pendant, après, plus jamais détaché, déconnecté, donc réellement éloigné quand il voyage, qu’un imprévu.»

Mais le revers de la médaille a bien eu lieu: inondés d’images, de publicités, de vidéos, aujourd’hui décuplées avec les témoignages de tous leurs amis sur les réseaux sociaux, les touristes accumulent des connaissances telles sur leurs prochaines destinations que l’effet de surprise tend largement à s’estomper.

Les vacances sont peut être plus sûres ou familières, mais elles ont perdu de cette saveur que seuls la surprise, l’insolite ou l’étrange leur prodiguaient. Comment étonner des visiteurs qui ont déjà passé des dizaines d’heures sur leurs écrans à décortiquer la destination ?

Le voyage a-t-il perdu de son sens avec les outils digitaux ?

Un des enjeux dans l’innovation est donc de redonner cette saveur de l’inattendu aux voyages. D’abord par la technologie, bien sûr. Après la réalité augmentée – dont l’explosion annoncée tarde à se manifester – se développent des technologies dont l’impact sur l’utilisateur est plus fort. Ainsi la « réalité superposée », proposée par SkyBoy, start-up incubée au Welcome City Lab, intègre des éléments virtuels dans des environnements réels. L’application Travel Cast d’Amadeus permet d’inspirer le voyageur grâce à des vidéos enrichies d’informations numériques sur les destinations. Ensuite, par un savoir-faire dans l’aménagement des espaces de loisirs.

La Ville de Montréal a incontestablement une longueur d’avance dans cet univers. Elle exporte le concept de «playable cities », qui transforme les villes en terrains de jeux. L’ambiance visuelle et sonore, les équipements, l’organisation des flux, tout est conçu de telle façon que la ville devient source d’inspiration et d’interaction ludique entre ses utilisateurs, et notamment entre habitants et visiteurs. Enfin, par la capacité à faire surgir l’inattendu ou la beauté de l’instant présent.

Cela peut paraître paradoxal, mais il est difficile d’organiser un voyage ou un événement qui laisse la place à l’insolite, qui introduit une rupture de rythme ou permet un arrêt sur image au bon moment. Cela n’est possible que grâce à une organisation professionnelle sans faille. Ainsi l’illustrent les témoignages des start-up: Akken, qui relève du slow tourisme, et Emoovio, qui pousse le concept de surprise à l’extrême en ne dévoilant la destination qu’à l’ultime moment.

L’effet « Waouh ! » devient donc un enjeu central dans la conquête – ou la reconquête – des touristes blasés de leurs voyages banalisés et surexposés sur des réseaux sociaux intrusifs.

Le voyage a-t-il perdu de son sens avec les outils digitaux ?

« Pour être étonné il faut plus que simplement voir, il faut vivre le moment et se laisser porter par les découvertes imprévues… » (4)

Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez lire ma thèse, n’hésitez pas à me contacter!

A suivre…

————————————————————————————————————————

Bibliographie : 

(1) Voir bien avant le début et bien après la fin du voyage aussi.

(2) Anne Bouferguène Directrice générale adjointe de Voyageurs du Monde – dossier « Tourisme 2050, quelques idées pour le futur » – p.16

(3) JEAN DIDIER URBAIN. Pourquoi voyageons nous ? scienceshumaines.com 13 Juillet 2017

(4) Dossier Cahier de tendances #2 Welcome city Lab, 51 pages – PDF

Photos : pexels.com