Avez vous déjà consulté le site de votre ville pour regarder le menu de la cantine de votre enfant ? Avec les horaires d’ouverture de la mairie et le trombinoscope des élus, il s’agit d’une des pages les plus consultées du site d’une ville. Cette information est donc une donnée importante pour les citoyens. Pour autant, mérite-t-elle d’être publiée sur les plateformes d’Open Data ? L’investissement lié au formatage des données et à sa mise à jour est-il rentable en comparaison au service rendu et à la potentialité de développement économique grâce à ces données ?

Pour répondre à ces questions, détaillons les données liées aux menus des cantines, leurs enjeux, les innovations qui existent déjà, les innovations potentielles mais aussi leurs risques.

Qu’est-ce que l’Open Data ?

Selon l’Open Knowledge Foundation, l’open data repose sur 3 critères essentiels :

  • La disponibilité et l’accès : les données doivent être accessibles (de façon gratuite ou moyennant uniquement le coût de production) dans un format pratique et modifiable.
  • La réutilisation et la redistribution : les données doivent être fournies dans des conditions permettant la réutilisation et la redistribution, y compris le mélange avec d’autres ensembles de données
  • La participation universelle : tout le monde doit être en mesure d’utiliser, de réutiliser et de redistribuer les données (sans restriction pour l’usage commercial ou limitation à des fins éducatives par exemple).

Ces 3 critères autorisent l’interopérabilité, c’est-à-dire la possibilité de mélanger différents ensembles de données. Cette notion est essentielle, nous verrons par la suite sa complexité.

Quels sont les objectifs de l’Open Data ? 

On peut distinguer 3 objectifs principaux :

  • La transparence démocratique de l’action publique
  • L’efficacité administrative : l’administration est souvent la première à bénéficier de cette ouverture grâce au désilotage et à l’accès plus aisé aux données.
  • Proposer de nouvelles ressources pour l’innovation économique et sociale : l’idée est que les données soient réutilisées dans de nouveaux services.

Quelles données peut-on extraire des menus de cantine ?

Menu des données des cantines des labels aux allergènes à ouvrir en open data

Ce menu complet ne vous parle ni de steak frites ni de tomates mozza, simplement de toutes les données supplémentaires qui entourent les ingrédients et qui caractérisent les plats qui seront servis à nos enfants.

Avec cet aperçu des données disponibles, regardons ce qu’ont choisi les collectivités de mettre à disposition en Open Data? Y a-t-il consensus ?

État des lieux actuel de l’open data des menus des cantines

Nous allons comparer les données disponibles en open data de la communauté urbaine Angers Loire Métropole, de la ville de Roubaix et de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de Toulouse Métropole.

#1 L’Open Data d’Angers Loire Métropole

Voici la description des principaux champs du jeu de données :

  • DATE_MENU : Date 
  • ID_SATELLITE : Identifiant de l’école
  • SATELLITE : Nom de l’école
  • CONVIVE : Distinction faite entre les repas servis aux élèves de maternelle et d’élémentaire.
  • MENU : « Déjeuner » valeur par défaut. « PN » = Pique-Nique, quand un Pique-Nique est proposé à un SATELLITE pour une DATE_MENU spécifique. 
  • REGIME : SANS EXCLUSION repas servi à toutes et tous | SANS VIANDE repas de substitution sans viande 
  • COMPOSANTE : Distinction entre les différents éléments constitutifs d’un repas/menu
  • ORDRE_COMPOSANTE : Classement ordonné  (de 1 à 10) des éléments du champ COMPOSANTE.

Ces données permettent de connaître le menu de son enfant. Le régime est indiqué, sans exclusion ou sans viande. Avec un export, nous n’aurons pas la possibilité de connaître la qualité des produits choisis ou encore leur provenance.

Cependant, Angers Loire Métropole met à disposition sur le site dédié à la restauration scolaire les labels et les allergènes.

D’autre part, la restauration scolaire est gérée en interne avec des valeurs fortes :

  • de maîtrise des coûts pour une accessibilité au plus grand nombre, 
  • un soutien aux filières agricoles locales, 
  • la lutte contre le gaspillage alimentaire,
  • la limitation de l’impact environnemental de la production et de la livraison.

Pour conclure, la communauté urbaine possède toutes les données mais n’en propose en données brutes accessibles qu’une infime partie.

#2 L’Open Data de Roubaix

Voici la description des principaux champs du jeu de données :

  • Date
  • Période (scolaire ou accueil de loisir notamment)
  • Ouverture
  • Thème
  • Entrée 1 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Entrée 2 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Plat 1 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Plat 2 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Accompagnement et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Fromage/laitage 1 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Fromage/laitage 2 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Dessert 1 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Dessert 2 et ses marqueurs (jusqu’à 4)
  • Plat 2 bis

Les marqueurs indiqués sont au nombre de 8, principalement des labels.

La ville passe par un prestataire, c’est donc lui qui met les informations à disposition. Le site de la ville de Roubaix sur la cantine scolaire est assez bref sur la politique de restauration scolaire, il n’est pas évoqué de valeur autour du gaspillage, du circuit local. Les allergènes ne sont pas indiqués.

#3 L’Open Data de Toulouse Métropole

Sur le portail des données ouvertes du territoire, on peut retrouver 3 jeux de données : 

  • Menus des cantines de la Ville de Toulouse
  • Plats des cantines de la Ville de Toulouse
  • Denrées des cantines de la Ville de Toulouse

Les 3 jeux sont interconnectables, le premier indique les menus, le second permet l’interconnexion entre le menu et les denrées, enfin les denrées indiquent les allergènes mais aussi les poids commandés.

Aucune mention n’est faite des labels, des circuits courts ou de la lutte contre le gaspillage alimentaire ou le suremballage.

Par contre, sur le site de la ville de Toulouse, on peut trouver un article sur les portions alimentaires en fonction de l’âge ainsi que des suggestions sur les repas du soir mois par mois en fonction des repas de l’école donc mais aussi de l’âge de l’enfant (maternelle ou primaire).

Les menus y sont aussi accessibles avec les labels mentionnés.

De plus, la ville dispose d’une application Qui Dit Miam, pour donner tous les renseignements sur les menus aux familles, nous parlons de cette application un peu plus loin dans cet article.

#4 Comment gérer l’interopérabilité des jeux de données ?

On pourra retenir de ce comparatif l’hétérogénéité des jeux de données. Or, nous avons parlé d’interopérabilité en introduction. L’intérêt de l’Open Data est cette possibilité de mélanger les jeux de données pour en sortir une information ; ici, ce n’est clairement pas possible.

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Vous devez vous dire, ok, mais qui a raison ? Y a-t-il un intérêt à la multiplication des champs ? Comment mettre tout le monde d’accord ?

Depuis juin 2020, Open Data France travaille sur un schéma permettant de décrire la composition des menus, complété par un autre schéma décrivant la composition des plats.

Qu’est-ce qu’ils proposent ?

Ce schéma est encore en test et discussion, nous verrons dans les années à venir si les collectivités qui ont déjà fait l’effort de formater leurs données l’utilisent mais aussi si les collectivités qui n’ont pas encore partagées leurs données utilisent ce modèle ou un formatage maison.

Comment ça, les collectivités qui n’ont pas encore partagé leurs données, ça existe encore ? Et oui, malgré l’obligation depuis 2018, certaines collectivités ne sont pas encore entrées dans la démarche. D’autre part, certaines partagent déjà des jeux de données, mais pas encore celui des menus de cantine. Cela peut être pour une raison de non priorité mais aussi pour des raisons d’incapacité.

En effet, si une collectivité est en marché avec un prestataire et que ce marché n’impose pas la fourniture de la donnée en format brut (et avec les champs que l’on souhaite), le prestataire n’a alors aucune obligation de vous le fournir. Ainsi, selon la maturité de la collectivité sur le sujet, elle pourra lors du prochain passage de marché, indiquer dans son cahier des charges cette obligation.

Maintenant, vous êtes incollables sur les jeux de données des menus de cantine et sur l’intérêt de l’interopérabilité de ces derniers. Très bien, mais votre seul souhait était juste de savoir ce que votre petit être adoré avait mangé à midi… Question essentielle donc : quel est l’intérêt dans tout ça ?

Quels sont les enjeux de l’ouverture des données des menus des cantines ?

#1 Enjeu législatif : la loi EGalim

Le premier enjeu est légal, au 1er janvier 2022, les restaurants scolaires ont l’obligation de proposer 50% de produits de qualité et durables dont au moins 20% de produits issus de l’agriculture biologique. De plus, l’information des convives devient obligatoire. 

À partir du 1er janvier 2020, les usagers des restaurants collectifs devront être informés une fois par an, par voie d’affichage et de communication électronique, de la part des produits de qualité et durables (au sens de l’article L. 230-5-1 du CRPM) entrant dans la composition des repas servis et des démarches entreprises pour développer des produits issus du commerce équitable.

Références juridiques : articles 24 de la loi EGAlim codifié à l’article L. 230-5-3 du CRPM

Certes, une fois par an n’est pas énorme, mais cela implique une logique de traitement des données, donc puisque les collectivités vont devoir faire ce travail, pourquoi ne pas en profiter pour aller plus loin.

On peut aussi reprendre ici les objectifs de l’Open Data. 

#2 La transparence de l’action publique

Chaque collectivité, tout en devant respecter la loi, fait ses propres choix d’organisation (intégrée ou par un prestataire), de produits (labels, bio…), et de fournisseurs (producteurs locaux, grandes enseignes…) avec la possibilité d’imposer des contraintes (emballages, réduction des déchets…). Ces choix influent logiquement sur le prix d’un repas.

Or qui paie le repas ? Les familles ? Pas tout à fait. Certaines collectivités prennent à leur charge une partie des coûts de cantine. Si un repas coûte par exemple 7€ à la collectivité, celle ci peut faire le choix de ne faire payer qu’une partie à ses usagers. 

Pour prendre un exemple concret, à Angers, dans un article de 2013, il est indiqué un coût de repas de 6,90€. Selon le quotient familial, les tarifs varient, hors forfaits, de 0,80€ à 5,47€ par repas, et pour un forfait 4 jours/semaine, d’environ 0,57€ à 3,92€. Il serait improbable de faire un calcul de coût avec simplement ces éléments, mais cela démontre bien que la collectivité prend en charge une majorité du coût.

Tout cela est bien entendu à relativiser car qui dit pris en charge par la collectivité, dit payer par les impôts des contribuables.

Mais une politique de cantine de qualité, par exemple 100% bio, implique potentiellement la réduction d’une autre politique publique pour tenir le budget de la ville. Si on vous promeut une cantine 100% bio, mais que l’on ne vous dit pas que la politique sportive de la ville en pâtira, finalement quel arbitrage est le plus intéressant ? Ceci sera l’objet d’un futur article sur l’Open Data des budgets des collectivités.

Il semble complexe de voir une amélioration de l’efficacité administrative grâce au partage des données. Regardons donc directement les innovations possibles.

#3 Proposer de nouvelles ressources pour l’innovation économique et sociale

Il existe aujourd’hui plusieurs réutilisations des données des menus des cantines. Les fonctionnalités peuvent être simples : Y a d frites, disponible notamment à Nantes et à Rennes permet d’accéder aux menus. Mais elles peuvent aussi proposer de nombreuses autres possibilités, comme l’application Qui Dit Miam, disponible notamment dans les villes de Rennes, La Rochelle et Toulouse. Le slogan de l’application est : Informer plus, éduquer mieux pour consommer moins.

Jean Philippe Delgado, CEO de Qui Dit Miam m’a accordé une interview pour comprendre tout l’intérêt de cette application.

Tout d’abord, le sujet de cet article étant l’Open Data, quelles sont les données utilisées et comment sont-elles récupérées ?

“On peut travailler avec des données en Open Data, dans ce cas, soit on fournit un modèle de récupération de données ou on peut faire une API en fonction des données disponibles.

Cependant, avec l’Open Data, je vois deux problématiques :

  • La première, c’est que les collectivités pensent que comme elles ont libéré les données, tous les services derrière qui y sont associés sont gratuits. Mais, si on fait une application, nos services ne sont pas gratuits.
  • La deuxième problématique, c’est que si les dépôts de fichiers ne sont pas d’une rigueur extrême, c’est-à-dire qu’on en change le modèle ou quoi que ce soit, une virgule par exemple, ça ne fonctionne plus.

Mais pour être très clair, l’Open Data aujourd’hui en France, c’est encore assez pauvre. Par défaut, ce n’est pas vraiment quelque chose que l’on propose en priorité. Nous, on préfère travailler directement avec les logiciels de GPAO (Gestion de Production Assistée par Ordinateur), les logiciels de production de cuisine centrale par lesquels on se connecte directement. L’avantage, c’est que les données sont formatées dans le logiciel d’origine. Donc, on ne fait plus que de l’inclusion et ça nous permet d’avoir les informations, avec aucune manipulation pour les mairies, les collectivités… on reste entre “professionnels”.  

Après, avec l’application, une fois les données récupérées, pour les collectivités qui le souhaitent, on peut mettre les données en Open Data.

Qu’apporte l’application Qui dit miam ?

L’application a deux publics : les convives (les enfants et les familles mais aussi des salariés dans le cas d’un restaurant collectif) et les personnels de cantine.

Objectif 1 : Informer

Pour les convives, l’application permet d’avoir accès aux menus, aux allergènes des produits utilisés (avec des notifications d’alerte possible), aux labels de qualité. En fonction des options, il est possible de l’utiliser pour réserver, pour donner son avis et même de payer.

Pour les personnels de cantine, elle contient les procédures. Par exemple, les procédures de remise en température, de service, on ne jette pas une barquette au milieu de la table, la procédure précise de remettre dans un plat et de servir avec une vinaigrette et 2 tranches de citron. De plus, on peut y entrer le poids du gaspillage, pour les entrées, les plats… à l’aide de poubelles connectées ou d’une balance tout simplement.

Objectif 2 : Eduquer 

Le second objectif est l’éducation. Éduquer les enfants dès le plus jeune âge est important, manger des légumes, des fruits, toutes sortes d’aliments pour préparer le palais.

“On perçoit que dans les écoles qui ont fait ça dès les tous petits, les plateaux pour les collégiens s’améliorent.”

Objectif 3 : Moins gaspiller

Enfin, le troisième objectif de l’application est de travailler sur le gaspillage alimentaire grâce aux data et cela par école. Une école peut aimer plus les haricots verts qu’une autre par exemple.

Pour cela, l’application utilise l’intelligence artificielle avec des algorithmes et du machine learning. Les données utilisées sont notamment : 

  • Les données N-1 et N-2 (présentéisme, avis, gaspillage…)
  • La météo
  • Les maladies (grippe, gastro, pas possible avec COVID)
  • Les fêtes religieuses

Cela donne des prévisions un mois avant la production (pour les commandes), un affinement est fait 4 jours avant le service (pour la production en liaison froide) puis un autre le jour J avec l’effectif réel de l’école.

L’idée est de produire au plus juste pour ne pas produire le déchet, car le déchet a un coût. 

Si on arrive à économiser sur ce coût, cela permet d’acheter des produits de meilleure qualité, diversifiés et plus locaux… 

“L’autre avantage avec ces algorithmes qui tournent, c’est que si vous changez de cuisinier, vous ne perdez pas les données. En général aujourd’hui, c’est votre chef ou votre gérant de cuisine qui connaît le mieux son restaurant et qui sait prédire. Si vous le perdez demain, vous perdez ces données avec. L’objectif de l’IA, c’est aussi de pouvoir pallier, en cas de changement de gérant ou autre, de pouvoir garder quand même cette latitude et d’avoir des prévisions.”

Infographie gaspillage alimentaire -l'open data peut-il être source de réduction ?

Enfin, l’application permet de communiquer sur des sujets au choix de la collectivité, notamment sur la gestion des restes consommables (dons aux associations) et des déchets (compost, recyclage).

Et demain ?

Pour conclure, vous pensiez peut-être que les données des menus des cantines étaient des données anodines et sans incidence. Cet article aura montré toute l’étendue et la complexité des données autour de ce sujet et surtout leurs potentiels.

Les idées de développement sont nombreuses et peuvent s’entrecroiser avec d’autres domaines : 

  • une application pour réaliser les menus du soir complémentaires au menus du midi
  • pour aller plus loin : en fonction des goûts (grâce aux commentaires) de nos enfants
  • encore plus loin : avec une liste prête pour faire les courses et des prix en fonction des magasins aux environs et l’impact écologique en fonction du magasin / des produits choisis…

Pour aller plus loin

# sur les données

# sur les l’intelligence artificielle