Dans la culture digitale, la data est centrale. Aujourd’hui, le monde entier produit des données, leur prolifération est exponentielle. On ne parle plus de gigaoctets mais de zettaoctets (1021). D’une production de 2 zettaoctets en 2010, nous passerons à 183 zettaoctets en 2025. Maîtriser la donnée est un enjeu d’actualité. 

Big data, volume de production de données

 

Pourquoi s’intéresser à l’échelle des collectivités territoriales ?

Tout d’abord, on ne peut pas faire grand-chose sans elles. Pour ouvrir une surface commerciale, pour construire un entrepôt, il faut une autorisation. D’autre part, les dépenses publiques représentent 1420 Mds€/an en 2020 en France, soit plus de 61 points de PIB. Dont 300Mds€ pour les administrations publiques locales. Et qui finance ces dépenses : vous et moi. 

Les collectivités territoriales produisent énormément de données. En revanche, elles n’ont pas toujours une équipe ni même une personne dédiée pour les traiter. Or, les données font évoluer les relations entre les acteurs privés, publics et les usagers. On peut les utiliser pour de l’aide à la décision, pour évaluer les politiques publiques mais aussi pour l’ensemble des services du quotidien (transports, gestion de l’eau, de l’énergie, etc.).

 

L’open data, une obligation légale

Depuis la loi pour une République numérique, les collectivités de plus de 3500 habitants et 50 équivalent temps plein (ETP) ont l’obligation de publier les bases de données et documents d’intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental. Or, seulement 11% des collectivités concernées ont engagé la démarche

Pourtant, la démarche open data permet aux acteurs publics de prouver l’ambition démocratique, de favoriser la modernisation de l’action publique et d’aider au développement économique. Nous pouvons ajouter un enjeu de souveraineté numérique. 

Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés ils deviennent des sujets. Alfred Sauvy

 

Quel est l’intérêt de l’open data ?

Je vous propose de prendre un exemple, celui de la mobilité pour montrer tout le potentiel de l’open data.

En 2020, selon l’Insee, plus de neuf français sur dix vivent dans une aire d’attraction d’une ville. Cela signifie vivre dans une zone urbaine ou dépendre de l’attractivité d’une ville. L’étude conclut que l’urbanisation se poursuit.

Selon l’index de trafic TomTom, la France se classe au troisième rang européen de la congestion routière. Les franciliens sont les plus mal lotis, ils perdent plus de 6 jours de vie par an dans les embouteillages, suivis de près par les aires de Marseille et Bordeaux. Or qui dit bouchons, dit pollution, nuisances sonores….

La mobilité urbaine est l’une des premières applications de l’open data. En effet, les premiers jeux ouverts concernaient des informations facilement accessibles et exploitables par les collectivités : points d’arrêt des transports en commun, trajets, horaires… Cette stratégie a donc naturellement d’abord bénéficié aux transports urbains.

 

La loi LOM : facilitateur du développement de services liés à la mobilité

Depuis le 24 décembre 2019, la Loi d’Orientation des Mobilités, dite LOM, impose aux autorités chargées des transports de rendre accessibles et utilisables les données statiques et dynamiques sur les déplacements et la circulation (incluant les données des bornes de recharge publiques). L’ensemble des données disponibles a donc permis aux start-up telles que Moovit, Citymapper ou encore Transit de se développer pour faciliter les déplacements des citoyens à la faveur des collectivités n’ayant plus besoin de développer elles-mêmes ce service.

Cependant, les collectivités ne disposent pas en interne de l’ensemble des données concernant les flux de mobilité de leurs territoires (fréquentations / multimodalité…). Les données sont disparates et détenues par une multitude d’acteurs. Le travail consiste alors à négocier l’accès aux données auprès des fournisseurs.

Des sociétés comme Remix ou Populus, se sont spécialisées dans des solutions permettant aux villes de gérer l’avenir de la mobilité grâce aux données. Leur proposition de valeur est de rassembler l’ensemble des données afin d’obtenir une vue unifiée et de visualiser et comprendre les conditions existantes. L’objectif étant d’analyser les alternatives possibles et de prendre des décisions éclairées : création ou modification de lignes de transport, lieux d’installation de véhicules partagés (de la voiture électrique aux trottinettes).

D’autres acteurs privés peuvent apporter leur plus-value pour augmenter la part de la multimodalité douce. Padam Mobility conçoit et développe des solutions de transports à la demande (TAD) dynamiques grâce à des algorithmes dans l’intérêt des usagers et des territoires. Lumiplan de son côté travaille sur l’amélioration de l’expérience dans les transports publics. Enfin, Cityway utilise le levier digital pour mettre en oeuvre une politique de mobilité au service du territoire. Son objectif est de favoriser le report modal, simplifier les déplacements et bien entendu préserver l’environnement.

 

Le MaaS : solution de demain

Dans cette optique, depuis quelques années, le nouveau mot d’ordre est le MaaS (Mobility as a Service). Raphaël Gil explique le concept de MaaS dans son article : Avec le MaaS, une nouvelle définition des mobilités.

Au-delà de la réflexion sur les solutions de mobilité et d’information des citoyens, l’idée est de fluidifier l’usage. En effet, pour se rendre d’un point A à un point B, il peut y avoir 3 transports différents gérés par trois opérateurs différents, 3 réservations, 3 tickets. Le concept du MaaS est de pouvoir réserver sur une seule et même plateforme tous les services payants : une plateforme, une recherche, une réservation, une facture. L’intention finale est bien de transférer le transport en voiture par des mobilités plus douces et rendre la multimodalité simple.

Des exemples à l’étranger montrent les bénéfices d’une telle solution. Helsinki, ville portuaire et capitale de la Finlande de 640 000 habitants (1,5 millions pour le Grand Helsinki), souhaitait faire reculer l’utilisation des véhicules personnels. En effet, l’urbanisation grandissante et les ambitions environnementales n’étaient pas compatibles avec une utilisation croissante de la voiture. Grâce à une solution Maas, nommée Whim, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 73% des utilisateurs de Whim effectuent des trajets avec les transports publics, ce chiffre est de 48% pour les citoyens moyens. 

Depuis 2017, Mulhouse Alsace Agglomération est pionnière en la matière avec la création du Compte Mobilité permettant avec une seule application de prendre les transports en commun, louer des vélos ou une voiture et se garer avec son véhicule. En plus de la facilité de gestion du compte (consommation en temps réel pour suivre son budget, gestion d’une facture unique), l’application communique des informations en temps réel comme l’horaire du prochain bus mais aussi le nombre de vélos (ou de places libres) disponibles à la station la plus proche et bien d’autres.

Depuis d’autres villes ont suivi : Dijon avec le système proposé par Divia, Belfort avec Optymo par exemple. Un observatoire du MaaS s’est créé, il est un recueil d’initiatives pour mutualiser les connaissances. 

Il faut savoir que l’acteur le mieux positionné aujourd’hui est un acteur privé : la SNCF avec son Assistant suivi bientôt par Bonjour RATP en Ile de France.




Pour conclure sur les enjeux des données concernant la mobilité pour les collectivités territoriales, deux éléments sont à regarder. S’impliquer dans une infrastructure MaaS (sans obligatoirement la porter bien-entendu), permet de récupérer les données jusqu’alors disparates et détenues jusqu’alors par d’autres opérateurs. Le second enjeu concerne justement le portage du projet. Laisser un portage privé n’est-il pas risqué ? L’acteur privé pourra être tenté de mettre en avant les solutions les plus lucratives pour lui plutôt que les solutions les plus efficientes pour l’usager et pourquoi pas pour le climat. Dans cette optique, un portage public comme tiers de confiance semble plus opportun.

 

Du MaaS au Self Data

Le MaaS permet donc au citoyen de réserver un trajet du point de départ au point d’arrivée sur une seule et même plateforme. Pour résumer, cela rend la multimodalité aussi simple que d’attraper ses clés de voiture. 

Cependant, changer les habitudes de déplacement n’est pas si simple. Et le self data peut être une solution pour accompagner le changement.

La Fing définit le self data comme « la production, l’exploitation et le partage de données personnelles par les individus, sous leur contrôle et à leurs propres fins ». Le self data implique que les individus deviennent maîtres de leurs données personnelles afin d’en faire des choses pour eux-mêmes. Cela implique trois actions : 

  • Récupérer une copie de leurs données
  • Avoir la possibilité de stocker et d’administrer leurs données dans un espace sécurisé
  • Ré-utiliser les données pour leur faciliter la vie, contribuer aux actions de leur choix.

Selon l’étude de la Banque des Territoires, ce modèle présente trois avantages principaux pour les collectivités : 

  • Restaurer la confiance : en 2018, seuls 3 français sur 10 considéraient que la confidentialité de leurs données personnelles sur Internet était assurée.
  • Un potentiel de simplification des démarches autant pour les collectivités que pour les usagers.
  • Agir en faveur de l’intérêt général : les collectivités pourront solliciter leurs habitants pour partager leurs données de consommation énergétique ou de mobilité par exemple dans l’objectif d’améliorer les politiques publiques.

La FING a publié un kit self data territorial comprenant notamment une analyse des modèles de gouvernance, un tour d’horizon pour s’inspirer ou non de certains exemples, des méthodologies issues des exemples mis en oeuvre à La Rochelle sur la mobilité durable, Nantes Métropole sur la transition environnementale et le Grand Lyon sur l’action sociale.

Reprenons donc l’exemple de la Rochelle pour imager cela par le programme Agremob du self data territorial. David Berthiaud explique que le dispositif permet de se réapproprier ses données personnelles avec un objectif vertueux de changer de mobilité, en travaillant notamment sur le covoiturage, le vélo et les transports publics. 

 

Comment ça marche ?

Les individus récupèrent leurs données personnelles issues des différents responsables de traitement : SNCF, BlaBlaCar, de leurs voyages en avion, toutes les solutions numériques qui collectent des traces de mobilité. L’enjeu est que chacun récupère l’ensemble de ses traces dans un entrepôt de données personnelles. Une fois disponibles au même endroit, le citoyen peut travailler sur ses données, les traiter, les analyser et s’en servir comme une aide à la décision au changement. En effet, cela permet aux individus, chacun de leur côté, d’adapter et de trouver des incitations individuelles de changement de comportement.

Le self data au service du changement des comportements de mobilité

L’avantage du projet self data est de remettre l’individu au centre du projet et de faire en sorte effectivement qu’ils se ré-approprient leurs données personnelles et les exploitent à leurs propres fins sous leur propre contrôle. 

Les trois chantiers du projet sont donc un volet applicatif (Cozy Cloud pour l’entrepôt de données, Tracemob pour la cartographie et Coach CO2 pour le calcul de l’empreinte carbone), le recrutement des bêta-testeur et le volet recherche pour comprendre comment les données peuvent influencer les comportements.

 

Pour conclure, les données autour de la mobilité sont nombreuses. Le partage de ces données en accès libre est essentiel au développement d’offres de multimodalités. Le changement de comportement peut aussi être aidé par la récupération des données personnelles par les individus eux-mêmes afin de servir la prise de conscience.