Dans notre précédent article, nous avions abordé l’importance d’une présence digitale qualitative pour inciter l’internaute à devenir un visiteur. Or, certains établissements culturels en France choisissent d’inclure des outils digitaux pensés pour la visite physique du musée. La médiation culturelle évolue elle aussi et devient numérique. Pour quel(s) objectif(s) et surtout quelle plus-value ?

Des outils digitaux pour informer…

La contemplation seule des œuvres et du lieu ne suffit pas à elle seule. La médiation culturelle doit offrir certaines clés de compréhension et créer un lien entre le musée, les œuvres, et les visiteurs.

Avant l’ère du numérique et encore aujourd’hui, les supports de médiation étaient physiques et variés, tels que les livrets, les visites guidées, les cartels, les kakémonos, etc. L’essor des nouvelles technologies implique une réelle mutation du parcours du visiteur.

« L’idée est que le visiteur n’est plus tout seul face à l’œuvre d’art. On cherche à le connecter à l’œuvre. Il y avait l’audioguide bien sûr, mais aujourd’hui on pense interactif. On est immergé, on sélectionne ce qui nous plait et on le conserve dans son smartphone. »

Milena Levent, directrice du salon Museum connections

Les applications mobiles

Nous avions abordé le sujet dans notre précédent article, les applications ont progressivement pris leur place dans le secteur culturel, et visent non seulement à trouver rapidement l’information sans passer par une recherche dans le moteur de recherche, mais aussi à garder le lien avec l’utilisateur et prolonger l’expérience.

En effet, une application peut comporter bon nombre de services à disposition, et devenir ainsi un outil d’accompagnement complémentaire à la visite. Mieux encore, son caractère interactif et éducatif permet d’atteindre une large cible (segmentation d’âge, nationalité…) tout en facilitant la rencontre avec l’art. C’est ainsi que l’on observe des applications ludiques proposant un itinéraire personnalisé, des récits, des cartes interactives, des quizz, des jeux, etc.

Le Chatbot

Ask Mona et la Villa Savoye
Les internautes interrogeaient Ask Mona pendant leur visite à la Villa Savoye

Bien sûr, d’autres alternatives existent pour une visite guidée par la technologie : le chatbot. Si l’idée d’un agent conversationnel virtuel n’est pas nouvelle (souvenez-vous de Clippy, le trombone de Microsoft !), l’évolution des usages online des internautes a métamorphosé cet outil, désormais programmé pour être capable de répondre aux questions ou des problématiques récurrentes.

Dans ce domaine, la startup Ask Mona s’impose, et grâce à son expertise, des chatbots ont vu le jour pour guider l’utilisateur sur un thème particulier. Moins contraignant qu’une application (qui prend de la place dans un smartphone), l’internaute a la possibilité de suivre sa visite sur son propre canal, à son rythme, comme s’il échangeait avec un médiateur virtuel.

Par exemple, en décembre 2017, les visiteurs de la Villa Savoye ont eu l’occasion d’utiliser le Chatbot Ask Mona sur leur smartphone afin d’enrichir leur visite. Depuis Messenger, il suffisait de lancer la conversation avec Ask Mona, et de lancer le message “Villa Savoye” afin de démarrer l’échange. Une fois cette discussion lancée, selon l’endroit où l’utilisateur se tenait, Mona le renseignait et répondait à ses questions.

Les visites virtuelles interactives

Une autre innovation technologique pour vous servir de médiation, plus immersive : les visites virtuelles interactives, utiles à l’appréhension des lieux et leur richesse patrimoniale en amont de la visite. Si ce dispositif permet de se repérer une fois sur place, son grand avantage réside sur le fait qu’il peut se décliner sur différents supports : smartphone, tablette, site Internet, borne interactive, ou encore casque en VR. Grâce aux points de repères, il est facile d’obtenir des explications succinctes pour comprendre le lieu et son histoire.

Par ailleurs, cette technologie peut être d’une grande utilité à ceux qui ne peuvent pas se déplacer sur les lieux : la visite peut donc se faire depuis chez soi, si elle touche un public curieux et aguerri.

Médiation culturelle 3.0 : Visite Virtuelle Interactive sur tous supports
Source : Immersiv 3D

… mais aussi pour créer une expérience inédite

Il n’existe pas une seule façon de créer une expérience immersive dans un musée. L’intérêt d’un tel concept est d’aider le visiteur à s’approprier l’œuvre, le lieu, et de comprendre son histoire. Or, les dispositifs de réalité augmentée (RA) possèdent de nombreuses opportunités pour les musées.  

Visualiser le contexte historique d’un patrimoine

La RA permet en effet de reconstituer des éléments manquants comme le propose par exemple la Conciergerie à Paris, à travers l’Histopad. Celui-ci permet en effet de redécouvrir le site dans son contexte historique, et sa fonctionnalité multilingue facilite la compréhension pour les visiteurs étrangers.

L’Histopad offre aux visiteurs une visite immersive et enrichie
dans les espaces médiévaux et révolutionnaires de la Conciergerie

“On a trop l’habitude de voir des murs blancs dans les monuments. La tablette permet de restaurer une vérité historique : tous les murs étaient couverts de couleurs et de tapisseries. Ici, à la Conciergerie, la Tapisserie des neuf Preux couvrait toute la salle des banquets. L’Histopad permet de la rendre visible en 3D alors qu’elle est aujourd’hui conservée dans un musée américain.”

Laure Pressac, cheffe de la mission stratégie, prospective et du numérique au Centre des Monuments Nationaux

Mieux comprendre les secrets d’une œuvre

L'application «l’atelier du peintre» de Courbet
Source : Club Innovation & Culture France

Mais la RA peut aussi permettre l’exploration d’une œuvre d’art en profondeur. L’Atelier du Peintre de Courbet au musée d’Orsay en est un bon exemple : consultable chez soi ou sur place, il suffit de télécharger l’application dédiée afin d’avoir accès aux détails et anecdotes sur cette œuvre immense.

En effet, sa taille, le nombre de ses personnages, la complexité de sa composition et de sa symbolique font que l’observation seule ne suffit pas pour comprendre l’œuvre et son contexte. A travers l’application, c’est une expérience immersive – visuelle et sonore – qui attend l’internaute pour découvrir les mystères du tableau.

Lorsqu’une œuvre ou un lieu possède une histoire complexe, la RA est un bon moyen de simplifier sa compréhension sans perdre l’attention du visiteur, mais surtout de mettre en place un storytelling. C’est ainsi qu’elle va transporter le visiteur vers un univers, lui transmettre et générer de l’émotion.

La touche ludique et dynamique de la RA va animer la visite, offrir une expérience unique et interactive, aussi bien chez les adultes que les plus jeunes. Elle peut même servir de support de jeu, comme une chasse au trésor ou une énigme à résoudre, au sein même du musée. Pour les enfants, c’est l’avantage de découvrir et d’apprendre tout en s’amusant.

Les lunettes connectées

Encore marginales en France, les lunettes connectées permettent aux visiteurs de s’immerger plus facilement à travers l’exposition, qu’à travers un écran de portable ou de tablette.

Récemment, au Château de Pierrefonds, ce sont les lunettes HoloLens de Microsoft qui donnaient à découvrir des armures reconstituées en 3D, et les manipuler en novembre 2017 le temps d’un week-end.

Une expérimentation de réalité mixte
au château de Pierrefonds en novembre 2017

Cependant, le coût très élevé de cette technologie et les contraintes en termes d’organisation ne permettent pas encore sa démocratisation dans le secteur culturel en France :

« Le visiteur peut perdre sa faculté à communiquer sur son expérience avec son entourage. Il y a un phénomène d’isolement pendant la visite. […] Certaines salles de musée peuvent accueillir jusqu’à 500 personnes par tranche de quinze minutes. Il est impossible de toutes les équiper de lunettes connectées. »

Bruno Monnier, président de Culturespaces

Ce n’est donc pas encore cette année que vous pourrez voir la Joconde vous saluer avec son célèbre sourire mystérieux, ou encore admirer l’envol de la Victoire de Samothrace à travers des lunettes connectées.

La RA possède donc pour l’instant ses limites, mais de nombreux autres outils innovants existent pour moderniser et repenser une visite muséale à l’instar des hologrammes et la robotique.

Mais la numérisation des musées permet-elle vraiment de sensibiliser à la culture ?

Incontestablement, les musées font face à une nouvelle approche, loin de la contemplation statique des œuvres. Or, chaque monument possède une histoire et des contraintes qui lui sont propres. Si l’enjeu reste le même – aider la rencontre des visiteurs, des œuvres et du patrimoine – les outils numériques employés doivent être cohérents par rapport au contexte, et au message à envoyer aux publics.

Est-ce que le numérique apprend à visualiser une œuvre ? On a tous cette faculté de percevoir une émotion face à une œuvre d’art. En cela, les innovations numériques n’apportent peut-être pas forcément ce supplément d’émotions, ce ne sont peut-être pas les meilleurs outils qui apportent cette émotion.

Ondine Prouvost, Commissaire du salon SITEM, 2016

Le risque d’intégrer les outils innovants dans les musées est de préférer leur engagement visuel plutôt que de sensibiliser les visiteurs. Il ne faut pas perdre de vue que les offres tout-numériques ne remplacent pas l’expérience in situ, elles la complètent. Elles doivent être employées de façon judicieuse afin de faire préférer le réel au tout virtuel aux futurs visiteurs.

Au-delà du “gadget” numérique, la transformation des musée va servir avant tout à enrichir l’expérience des visiteurs, et repenser la manière dont ils interagissent avec l’art et le patrimoine, notamment pour ceux qui n’ont justement pas l’habitude de fréquenter un établissement culturel.

L’intérêt est de créer la connexion entre le passé et le futur, mais surtout renforcer une vraie relation d’accueil et de dialogue entre le monument, ses visiteurs et ses non-visiteurs, plus qu’à attirer du public. Cet échange, déjà initié en amont de la visite, se doit donc d’être poursuivi au moment de la visite.

C’est pourquoi le parcours visiteur dans sa globalité est un réel point essentiel à prendre en compte, puisqu’il couvre toute l’expérience du visiteur, de la phase d’inspiration jusqu’au retour du visiteur.

Analyse Sia Partners

Les différentes pistes du parcours du visiteur à penser,
pour une expérience optimale (Analyse Sia Partners)

A chaque étape, les musées peuvent utiliser les opportunités du digital, pour une expérience mémorable et inciter le visiteur à la partager… et ainsi, convaincre d’autres personnes de venir vivre leur propre expérience au musée.

Qu’en pensez-vous ? Pensez-vous que l’intégration des outils digitaux dans les musées est un atout pour la médiation ? Ou sont-ils davantage une contrainte, voire un obstacle ?


Pour aller plus loin :


Sources :