Nos téléphones, nos maisons, nos voitures seront-ils un jour entièrement fabriqués par des imprimantes 3D ? Aujourd’hui, la question peut paraître prématurée, voire incongrue.

Car si l’impression 3D, ou fabrication additive, a beaucoup d’avantages sur les autres modes de conception (personnalisation, capacité à créer des formes complexes sans gaspillage de matière…), elle a aussi des limites : lenteur de fabrication, manque de matières compatibles… Pourtant, des entreprises privées et des universités développent des prototypes qui pourraient bien changer la donne.

Afin de faire le point sur l’état du marché, j’ai interrogé Alexandre Martel, cofondateur du site http://www.3dnatives.com/, premier site d’information sur l’impression 3D en France.

 

Pensez-vous que l’impression 3D va passer à la cadence industrielle et, si oui, à quelle échéance ?

C’est une vraie question, je pense que personne n’a la réponse à l’heure actuelle, mais des travaux vont dans ce sens. Par exemple le « High Speed Fab Grade » de 3D Systems, qui dispose de lignes de production avec plusieurs plateaux où les couches sont imprimées les unes à côté des autres, est assez impressionnante.




 

Le simple fait d’être capable d’imprimer tous les types de matériaux, sans même parler de les mélanger, sera déjà une avancée majeure pour la technologie.

On voit également apparaître de plus en plus la possibilité d’imprimer en 3D des moules pour faire de l’injection ou en fonderie. Jusqu’à aujourd’hui, les moules pouvaient coûter plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros. Là, on va pouvoir imprimer des modèles complexes de moules et les injecter ensuite en série. Cela demande encore des développements car ils peuvent-être utilisés des milliers de fois et subir des contraintes mécaniques importantes. Stratasys, 3D Systems ou Voxeljet travaillent sur ces sujets-là.

Je ne pense pas que l’impression 3D a pour vocation de rivaliser ou de remplacer des lignes de production, mais plutôt de compléter ou de combiner ces méthodes pour des séries limitées.

 

Comment percevez-vous alors ces tentatives de 3D Systems, du néerlandais TNO ou encore de l’université de Sheffield pour rivaliser avec les cadences industrielles ? Pensez-vous que les fabricants aient l’objectif à terme de remplacer les usines par l’impression 3D ?

 

Je ne pense pas que les fabricants se fixent comme objectif « de remplacer le travail dans les usines ». L’idée, c’est plutôt « on a une technologie, on veut l’améliorer ». Ils ont différentes contraintes face à eux : le prix des machines, leur rapidité, la diversité ou le prix des matériaux… La diversité des matériaux, c’est l’un des gros enjeux – c’est ce qui ressort de nos discussions avec les fabricants, des salons et des dernières innovations. Quant à remplacer le travail des usines, il me paraît trop tôt pour aborder ce sujet.

 

L'imprimante 3D de l'Université de Sheffield prévue pour 2017.

L’imprimante 3D de l’Université de Sheffield prévue pour 2017.

 

L'imprimante 3D de TNO, capable d'imprimer 100 objets différents par minute.

L’imprimante 3D de TNO, capable d’imprimer 100 objets différents par minute.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a toujours eu cette idée d’automatiser les process de fabrication, mais cela ne passera pas nécessairement par l’impression 3D. Pourquoi se restreindre à une méthode pour fabriquer un produit ? L’impression 3D est simplement un outil additionnel.

Prenez un tournevis et un marteau. Le tournevis n’a pas vocation a remplacer le marteau, ce sont deux outils distincts qui ont chacun une utilité bien définie. Vous pouvez bien évidemment essayer de taper une vis avec un marteau, mais la méthode n’est pas la bonne !

 

Cependant, l’argument que brandissent souvent les promoteurs de l’impression 3D, c’est la perspective de relocaliser une partie de la production.

Il y a des applications qui marchent, comme l’aéronautique, le médical, la joaillerie, trois grands secteurs ayant adopté le plus rapidement cette technologie. Après, il y a des cas où cela ne s’appliquera pas. On voit par exemple que l’automobile a aujourd’hui beaucoup de mal à intégrer l’impression 3D au delà du prototypage.

Les traditionnelles lignes de production ont été réfléchies pour pouvoir fabriquer des modèles similaires à grande échelle le plus rapidement possible. L’impression 3D n’a pas été créée pour ça à la base.

Si on a besoin de fabriquer 50 000 voitures identiques pour demain, l’impression 3D ne répond certainement pas à cette problématique, ni aujourd’hui ni dans 50 ans.

 

Ne pensez-vous pas néanmoins qu’il y a une évolution au niveau du marketing des marques qui souhaitent de plus en plus faire de la personnalisation de masse ? À partir du moment où tout le monde voudra une voiture qui répond exactement à ses critères, l’impression 3D aura son intérêt. C’est ce qu’on voit déjà avec l’imprimante de 3D Systems qui a pour but notamment de fabriquer en grande quantité le smartphone modulaire de Google via le projet ARA.

Oui bien sûr, il y a là un vrai intérêt. Pour revenir à l’automobile, on peut citer Local Motors. Cette entreprise a pour concept, comme son nom l’indique, de développer un réseau mondial de garages de quartier, capables de fabriquer une voiture personnalisée à votre goût et pour des coûts de production moindres, notamment grâce à une meilleure gestion des stocks et pièces détachées permises par l’impression 3D.

Le smartphone modulaire de Google sera produit par impression 3D.

Le smartphone modulaire de Google sera produit par impression 3D.

 

Vous parliez tout à l’heure des matériaux comme d’un enjeu crucial pour le développement de l’impression 3D. Aujourd’hui, il existe environ 200 matériaux compatibles avec l’impression 3D. Les objectifs des fabricants ne sont-ils pas déjà atteints de ce point de vue-là ?

Il n’y a pas seulement le matériau, il y a également l’expertise proposée autour de ce matériau. Sur les métaux, par exemple, il y a encore des problématiques liées à la finition. Aujourd’hui, imprimer un bijou en métal n’aurait aucun intérêt, parce que le travail nécessaire pour la post-production serait bien trop important. Un réel accompagnement du client sur la connaissance des matériaux est nécessaire à mon avis.

On pourrait également espérer l’arrivée de nouveaux matériaux, comme les textiles ou l’alimentaire. Et enfin la combinaison de matériaux issus de différentes familles (la famille des métaux et des polymères par exemple) au sein d’une même imprimante 3D.

 

En 2015, les États-Unis dominent le marché de l’impression 3D (note : selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) paru en mars 2015, les US représentent 38% du parc d’imprimantes 3D contre 9% pour la Chine et 3% pour la France). Par contre en Chine, comme c’est le cas aux USA d’ailleurs, il y a une volonté très forte du gouvernement d’investir des sommes considérables dans cette technologie. Pensez-vous que le rapport de force va se modifier ?

La part de fabricants US pourrait diminuer dans les années à venir car historiquement les grands acteurs sont nés là-bas comme 3D Systems, Stratasys ou Exone, au profit des constructeurs européens ou chinois. En Chine, ils ne se contentent pas de copier des technologies, ils ont toute une R&D locale qui développe ses propres machines. Des sociétés comme Hunan Farsoon ou Tiertime sont déjà bien plus présentes localement que Stratasys et 3D Systems et se développent même à l’international (note : Farsoon a récemment signé un partenariat avec Prodways). Certaines ont pour vocation de rivaliser avec les deux géants américains, Prodways en France a la même volonté. Sur un marché comme celui du métal, qui est un des plus prometteurs, voire le plus prometteur, les Européens sont plutôt bien placés avec EOS, Arcam ou même Prodways.

 

Malgré ces réjouissantes perspectives, n’y a-t-il pas une bulle spéculative autour de l’impression 3D comme ce fut le cas dans les années 2000 avec Internet ? On voit que certaines grosses sociétés du secteur ont beaucoup licencié ces derniers mois.

Parler d’une bulle me paraît exagéré. Qu’il y ait 4-5 cinq acteurs dont les résultats aient été particulièrement décevants, en Bourse notamment, ou qu’une entreprise comme MakerBot ait licencié 20% de ses effectifs ne signifie pas qu’il y ait une bulle. Il n’y a pas de grande dépendance entre les banques, les investisseurs et les acteurs de l’impression 3D. Si demain ces sociétés font faillite, ce n’est pas le système tout entier qui s’écroule. Ce qu’on remarque surtout, c’est que malgré ces annonces, les ventes continuent d’accélérer avec des chiffres de croissance compris entre 20% et 40% chaque année.

 

Pensez-vous qu’un jour on aura tous une imprimante 3D à la maison comme on nous l’a promis en 2013 ?

À titre personnel, j’aimerais beaucoup que chacun ait une imprimante 3D chez soi, même si ça ne me paraît pas envisageable à court terme. L’utopie de créer soi-même les produits qui nous entourent est séduisante !

Pour moi, le véritable intérêt de la technologie passera par des objets du quotidien imprimés en 3D, sans forcément que le client final ne le sache d’ailleurs, avec à la clef des objets mieux pensés, moins chers, davantage personnalisés.

Par exemple, l’entreprise américaine Invisalign produit environ 50 000 appareils dentaires, dénommés gouttières, par jour grâce à l’impression 3D. La joaillerie, les prothèses auditives, les implants médicaux existent déjà. Et demain pourquoi pas nos voitures ? nos chaussures ? nos jouets ? Le consommateur ne va pas toujours détecter le rôle de l’impression 3D dans ces nouveaux produits dont il bénéficie, mais cette technologie aura un impact grandissant sur son quotidien.

 

Si vous deviez citer un exemple récent d’application de l’impression 3D qui vous a bluffé ?

Ce n’est pas le plus récent, mais l’exemple de cette patiente hollandaise ayant reçu une boîte crânienne imprimée en 3D m’a marqué à vie je pense (note : la prouesse a été révélée en mars 2014). Le fait que cette technologie ait le pouvoir d’améliorer considérablement la vie de certains patients m’impressionne toujours.

 

Merci pour vos réponses, Alexandre Martel ! Pour suivre toute l’actualité sur l’impression 3D, visitez http://www.3dnatives.com/.