Après avoir défini le modèle Freemium et vu ses avantages dans mon premier article « Freemium : Les secrets de la réussite d’un modèle original » puis ses contraintes dans le suivant « Les contraintes du Freemium, un modèle exigeant », Nous allons, dans ce troisième article passer en revue les 14 questions à se poser avant de se lancer en Freemium.

1. Mon produit répond il à un problème ?

C’est une des questions les plus importantes à se poser avant de se lancer en Freemium même si elle n’est pas spécifique à ce modèle et si tout entrepreneur doit se la poser avant même de savoir quelle modèle économique est le bon pour marketer son produit.
“Les entrepreneurs européens pensent produit, l’entrepreneur de la Silicon Valley pense solution à un problème. Il n’y a pas de marché pour un produit qui répond à un problème qui n’existe pas”
Carlos Diaz – The refiners
En Freemium, votre produit doit faire la preuve de son utilité rapidement, au risque de mourir avant même d’être né. Avoir un produit de qualité bien conçu est important pour toute entreprise mais c’est un challenge encore plus important en Freemium où le produit est le principal outil marketing

2. A-t-il un coût marginal faible et décroissant ?

Si c’e n’est pas le cas, le Freemium n’est pas pour vous. Offrir gratuitement un produit pour envisager d’en vendre un autre permettant de le financer n’est économiquement viable que si le coût marginal du produit gratuit tend vers zéro.

3. Nécessite t’il des dépenses importantes de promotion et de supports ?

Pour envisager sereinement de vendre en  Freemium, il faut réduire les dépenses marketing au maximum :
“votre produit doit se vendre seul et attirer des utilisateurs fidèles simplement sur ses propres mérites et sans budget marketing important »
Jules Malts et Daniel Barney
Si ce n’est pas le cas les coûts d’acquisition et de support des utilisateurs risquent de rendre la rentabilité hasardeuse. Un modèle Freemium réussi nécessite un haut degré d’autonomie des utilisateurs pour limiter les coûts.

4. Est-il complexe à mettre en oeuvre ?

Parmi les questions à se poser avant de se lancer en Freemium, celle de la simplicité du produit est fondamentale car elle détermine la réussite de l’onboarding. Les utilisateurs doivent être autonomes et doivent donc être capables de comprendre et de faire fonctionner le produit rapidement avec un minimum d’intégration.

Thibault de Broissia nous explique que c’est la raison pour laquelle Uptilab a renoncé au Freemium pour la commercialisation de Reeport, un outil d’automatisation du reporting.

“Le Freemium ne fonctionne que si l’on peut automatiser au maximum et que l’on a le moins de  contact possible avec le client. Reeport n’est pas utilisable directement en stand-alone, il est nécessaire d’avoir un contact avec un expert pour réussir l’onboarding. La BI c’est complexe, il peut y avoir besoin de réconcilier de la donnée etc… et cela ne permet pas à l’utilisateur d’être autonome.”

5. Peut-il générer de l’enthousiasme et de la loyauté ?

Si votre produit suscite l’enthousiasme, il a plus de chances de favoriser la viralité qui amplifie les effets de votre marketing et limite fortement vos coûts. Dans la phase de fidélisation, c’est aussi cet enthousiasme qui vous aidera à conserver plus facilement vos utilisateurs et à les convertir en utilisateurs payants.

C’est donc une des questions à se poser avant de se lancer en Freemium même si l’enthousiasme est difficile à prévoir…  cependant, la fréquence d’utilisation de votre produit y sera pour beaucoup : si votre produit n’est pas destiné à être utilisé de manière fréquente, quasi-quotidienne, il a alors peu de chance de susciter l’enthousiasme et il est sans doute préférable de se tourner vers un autre modèle économique.

6. Le chemin vers la  monétisation est-il clair et maîtrisé ?

L’exemple d’Evernote, qui malgré plus de 225 millions d’utilisateurs enchaîne les plans de redressement depuis plusieurs années, montre que l’on peut disposer d’un excellent produit sans être capable de le monétiser.

La question de l’équilibre entre la partie gratuite et payante est donc une des questions capitales à se poser avant de se lancer en Freemium. , Si l’offre gratuite est trop généreuse, les utilisateurs ne convertiront pas, si elle est trop limité, il abandonneront le service avant d’avoir eu le temps d’en saisir la valeur.  Ne vous lancez pas en Freemium si vous n’avez pas une idée claire de la façon de monétiser votre service et sans l’avoir tester auprès du marché.

7. Dans quelle mesure vais-je pouvoir upseller mes utilisateurs payants ?

Les utilisateurs payants sont la principale source de revenus d’un modèle Freemium et il est 4 fois plus moins cher de développer un client existant que d’en conquérir un nouveau.
Les questions à se poser avant de se lancer en Freemium : coût de l'acquisition

ProfitWell : l’acquisition coûte 4 fois plus chère que l’Upsell

Votre mécanique de monétisation doit permettre d’upseller vos utilisateurs payants et ne doit pas empêcher les plus enthousiastes de dépenser leur argent en ne leur proposant, par exemple qu’une offre unique à prix fixe. Votre modèle de tarification doit intégrer des mécanismes permettant de la faire évoluer en fonction de la valeur délivrée à vos clients. Slack, par exemple, facture sa messagerie en fonction du nombre d’utilisateurs actifs sur le mois.

8. Le marché a-t’il une taille suffisante ?

Dans un modèle Freemium, les taux de conversion étant généralement faibles et les budget moyens peu élevés, disposer d’un vaste marché est un avantage considérable.

Jules Maltz et Daniel Barney font un calcul simple : pour bâtir une entreprise de 100 millions de dollars avec un taux de conversion de 3% et un revenu moyen par utilisateur de 100$ par an, il vous faudra plus de 33 millions d’utilisateurs gratuits…

Les questions à se poser avant de se lancer en Freemium

Nombre d’utilisateurs gratuits nécessaires pour bâtir une entreprise de 100 M$ de CA  (J.Maltz et et D.Barney)

Il n’est pas impossible, mais plus compliqué d’envisager un modèle Freemium sur un marché de niche. Pour cela, il vous faudra des utilisateurs assez enthousiastes pour accepter de payer cher votre offre payante.

Pour une entreprise française, avoir de nombreux utilisateurs gratuits signifie qu’il faut concevoir une offre internationalisable rapidement et avec un minimum d’adaptation.

9. Mes clients sont-ils intéressés par le gratuit ?

La question se pose particulièrement en BTB où les clients grands comptes attendent plus souvent de la personnalisation, de la sécurité et un service après-vente de qualité et sont prêts à payer pour ces services. Dans ce contexte, la gratuité peut s’avérer contre-productive en décrédibilisant votre offre.

MyPoseo, un outil en ligne d’analyse et de suivi du positionnement et du référencement naturel et payant de sites web est passé du Freemium au gratuit en réorientant son produit vers une cible grands comptes.

« Dans le BTB, et notamment lorsque l’on vise les grands comptes, l’acte d’achat n’est pas motivé de la même manière que dans le BTC ou les TPE-PME. On est prêt à dépenser un peu d’argent pour des outils qui permettent d’améliorer la productivité et le gratuit n’est donc pas une approche aussi pertinente”
Alexandre Sigoigne – My Poseo

10. Existe-t’il déjà des concurrents avec une offre gratuite ?

Soit c’est le cas et il est possible que vous n’ayez pas trop le choix pour exister sur le marché et être compétitif. : c’est la situation du marché des jeux mobiles ou peu de jeux payants arrivent à faire leur place. Soit ça ne l’est pas et le Freemium peut être l’opportunité de venir bousculer les acteurs existants et faire votre place au soleil.

Dans les deux cas donc, le Freemium est une approche pertinente.

11. Suis-je DATA DRIVEN ?

L’analytics est au cœur du modèle Freemium mais certainement pas en tant qu’exercice intellectuel gratuit. La DATA doit être le levier qui permet de conduire tout le processus d’amélioration et de développement de votre produit. Dans un modèle Freemium, Il essentiel d’améliorer le produit en continu en fonction du comportement de l’utilisateur et non seulement en fonction des intuitions de l’équipe. Pour cela il faut mettre en place une boucle développement – production – mesure dans laquelle la Data est centrale.
Boucle développement-MEP- Mesure

Boucle développement-MEP- Mesure

C’est probablement un des éléments les plus difficile à implémenter mais il est essentiel au succès d’un modèle Freemium.

12. Mon organisation est-elle agile ?

Pour améliorer sans cesse le produit en fonction des retours utilisateurs, il faut une organisation capable de mettre en place ces améliorations très rapidement et de revenir dessus avec la même rapidité si les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous. Les produits en Freemium sont développés en mode itératifs et seule une organisation en mode agile permet de répondre aux défis posés par ce mode de développement.

13.  Est-ce que je dispose des compétences en interne pour mettre en oeuvre ce modèle ?

Le Freemium est un modèle exigeant nécessitant des compétences multiples et il est essentiel de disposer d’une équipe aguerrie, disposant des bons réflexes (pilotage par la DATA plutôt que par l’intuition, capacité de se remettre rapidement en cause, agilité) de l’expertise et de l’expérience nécessaire à la mise en place de ce modèle.

14. Est-ce que je dispose des ressources financières nécessaires ?

Bâtir un modèle Freemium qui fonctionne est un investissement. Vous n’aurez probablement pas trop de mal à acquérir des utilisateurs mais probablement plus de difficultés à les convertir à vos offres payantes et à être rentable rapidement.

Pour financer cette période et/ou réduire le délai de retour sur investissement, plusieurs stratégies sont envisageables.

  • Lever suffisamment de fonds pour avoir le temps de trouver le bon modèle. Grâce au nombre d’utilisateurs qui a rejoint son service, Spotify à réussi à séduire les investisseurs et à lever plus de 1,5 Mds de dollars.
  • Lancer son service en payant et utiliser le Freemium comme accélérateur après avoir testé son offre, acquis une base client,  et compris les mécanismes de monétisation. C’est la stratégie adoptée par Mailchimp, Wistia, Livestorm et bien d’autres.
Si vous avez répondu de manière positive à la plupart de ces questions : félicitations, vous disposez du produit, du marché, de l’organisation et des fonds pour vous élancer vers le succès. Le modèle Freemium est fait pour vous !! Pas de panique, si vous n’êtes pas encore prêt ! Pourquoi ne pas reporter la mise en oeuvre de ce modèle après avoir testée votre offre de façon plus classique, séduits quelques clients et recruter les bonnes ressources ? Le modèle Freemium devrait alors vous permettre d’accélérer votre croissance et de changer de dimension.

Sources

Profitwell, « The Freemium Manifesto », https://www.profitwell.com/freemium-acquisition-book

Jules Maltz, Daniel Barney, Freemium Software – A Guide for Startups (IVP October 2012) : https://fr.scribd.com/doc/112261906/Freemium-Software-A-Guide-for-Startups-IVP-October-2012

Seufert, Eric Benjamin. Freemium Economics (The Savvy Manager’s Guides) (p. 42). Elsevier Science. Édition du Kindle.

Fuite des talents chez Evernote, la fin est proche ? Zdnet.fr. 06/09/2018 : https://www.zdnet.fr/actualites/fuite-des-talents-chez-evernote-la-fin-est-proche-39873209.htm