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2020 aura été une année noire pour les restaurateurs, et hélas, la sortie de crise ne semble pas imminente. La digitalisation peut-elle sauver la restauration ?

Contraints de laisser leurs tables vides lors des confinements successifs, les patrons du segment de la restauration avec service à table, ont connu une chute de 85% de leur activité au mois de Novembre 2020, leurs pertes annuelles cumulées atteignant les 27,3 Md€.

Pour faire face à cette situation exceptionnelle, le recours au digital a constitué une réelle bouffée d’oxygène pour de nombreux restaurateurs, qui ont pu réadapter leurs activités tout en respectant les restrictions imposées.

Ayant eu l’immense privilège de m’entretenir pour la rédaction de cet article avec Mr Guy Savoy, chef étoilé prestigieux de renommée internationale et détenteur du titre de Meilleur Restaurant du Monde pour la 4ème fois consécutive, nous reviendrons avec lui sur les récentes évolutions du monde de la restauration version 2.0.

La digitalisation peut-elle sauver la restauration ?

Notre époque est digitale et les nombreux acteurs du secteur de la restauration l’ont bien senti.

Aujourd’hui le bouche à oreille ne suffit plus pour remplir une salle de restaurant, c’est sur Internet que se forge la plus forte réputation, l’e-réputation.

Selon le cabinet de conseil Food Service Vision, 69 % des français dont 80% des 18-35 ans consultent les avis avant de choisir un restaurant. C’est dire l’importance des « rewards » pour soigner sa notoriété.

Le meilleur exemple de cette toute puissance des avis est le canular réalisé par le journaliste Oobah Butler (Vice UK), qui a fait de sa cabane de jardin le restaurant le plus huppé de Londres, classé N°1 par le guide touristique en ligne Tripadvisor…alors que celui-ci n’existait que dans la publication de quelques photos, et surtout d’une tonne d’avis élogieux, tous faux.

Vidéo de la Cabane de Dulwich

 

Vidéo Cabane de Dulwich

Une prise de pouvoir du consommateur donc, qui ne se contente plus d’être un acteur passif dégustant les mets qui lui sont proposés, mais un véritable critique culinaire dont l’analyse a le pouvoir de faire et défaire la réputation d’un établissement.

Espérons que les créateurs de South Park n’auront pas étés touchés par une fulgurance prémonitoire, en imaginant Eric Cartman réduire à l’esclavage le fils d’un restaurateur de la ville, en le menaçant de mettre une note de 0 à l’établissement de son père sur YELP. (S19E04)

South park YELP

Ce type de détournement, en sensibilisant le public sur les dérives possibles qu’entraîne une confiance aveugle dans ces nouveaux outils, est également un excellent indicateur de leur ancrage dans les habitudes de consommation actuelles.

Chaque client est devenu un influenceur en puissance, et le créneau se professionnalise.

On ne compte plus le nombre de blogueurs et d’influenceurs qui se spécialisent dans le conseil et pullulent sur Instagram, Facebook et autres blogs spécialisés.

Que ce soit pour les végétariens avec la super star @Ella Mills ou les adeptes de la « Porn Food » comme nos amis du @No Diet Club, les nouvelles offres foisonnent pour combler les désirs des consommateurs de plus en plus connectés.

Consommer un bon plat ne suffit donc plus, il faut le partager. Le partager sur les plateformes, avec des millions de publications contenant les hashtags #yummy #foodporn #healthy #foodie.

La notoriété, bien plus qu’auparavant, est devenu un levier de réussite extraordinaire pour tout entrepreneur, et le monde de la restauration, plus largement l’univers de la gastronomie suscite les convoitises et attire l’attention des médias.

On est passé en l’espace de quelques années d’une poignée d’émissions culinaires classiques, animées par des chefs étoilés (« Bon appétit bien sur » / Joel Robuchon sur France 3 et Gourmet TV) ou des présenta-teurs /- trices charismatiques (« La cuisine des Mousquetaires » / Maité sur FR3 – « Ça se bouffe pas, ça se mange » / Jean Pierre Coffe sur France Inter), à une multitude de programmes aussi variés les uns que les autres, présents dans toutes les grilles horaires du petit écran : format court de type recette flash (« Petits Plats en équilibre » / TF1) , émissions de Téléréalité (« Un dîner presque parfait »/ M6), énorme show en prime time (« Top Chef » / M6), jusqu’aux chaînes télé 100% dédié cuisine (Cuisine TV – Gourmet TV).

Culte : Maïté assomme des anguilles | Archive INA

 

L’art de la table s’infiltre dans la production audiovisuelle et n’a jamais été aussi “sexy”. Le public en redemande et les professionnels jouent le jeu…

… Sans forcément céder à la starification ou dans une moindre mesure à une forme de vedettisation de leur rôle, de nombreux restaurateurs proposent de nouveaux contenus en ligne, des recettes, des conseils cuisine, des sites web léchés et interactifs, une manière pour eux de consolider le lien avec leur clientèle.

Guy Savoy nous confirme l’intérêt croissant porté à la présence digitale de ses établissements : La digitalisation peut-elle sauver la restauration ?

« Ce sont les équipes des restaurants, composées de nombreux jeunes, qui m’ont incité à développer la présence de nos Maisons sur les réseaux sociaux. Au vu des photos et des vidéos que les unes et les autres y postent, et de l’impact qu’elles y ont, j’ai compris qu’il était important de créer sur les réseaux également des liens privilégiés avec nos convives ou futurs convives. »

Une manière également pour eux d’approfondir l’échange entre les générations, et ne plus être le seul vecteur de transmission des savoirs, les jeunes générations maîtrisant parfaitement cette pléiade d’outils numériques.

Une occasion aussi pour des chefs de toutes sorte de découvrir les vertus de ces nouveaux axes de communication : La digitalisation peut-elle sauver la restauration ?

« Même s’il manque bien entendu l’étape de la dégustation, ces vidéos (recettes en live) permettent de plonger virtuellement le public en cuisine. L’essence de nos métiers est ainsi exposée au public, avec le choix et la présentation des produits de base, tout comme le savoir-faire indispensable à leur transformation en un moment inoubliable. »

La communication donc, toujours plus, toujours plus vite, à portée de main via son smartphone ou sa tablette.

Force est de constater que le développement du digital s’est considérablement accéléré avec la crise sanitaire liée à la Covid 19, les restaurateurs étant privés du contact direct avec leur clientèle.

Selon une étude effectuée par Kantar World Panel, 24 % des repas sont pris hors domicile et les commandes en ligne ainsi que l’e-commerce sont en progression de 12% en France pour les années 2018/2019.

guy savoy presente un plat

 

La livraison et la vente à emporter, principales bouées de sauvetage pour les restaurants

Le développement de nouvelles méthodes de commandes géolocalisées, permettant de commander et de se faire livrer en ligne ou via une application, a explosé ces dernières années.

Selon une étude menée par App Annie, les commandes de repas sur les appareils mobiles ont augmenté de 130 % de 2016 à 2018, et les téléchargements des cinq plus grandes applications de livraison à domicile de 115 % sur la même période.

UberEats, Deliveroo, The Forks, …, tous ces outils ont émergés en collant au plus près des nouvelles attentes clients, et offrent aujourd’hui une véritable alternative pour contrer l’interdiction actuelle de recevoir du public.

La tendance croissante au « manger vite, manger mieux, et moins cher » s’est donc plus que confirmée tout au long de cette année 2020, sans compter le contexte sanitaire actuel qui a mené les professionnels de la restauration à s’adapter et ainsi à se focaliser sur ces nouvelles méthodes.

La 5ème Revue stratégique réalisée par le cabinet de conseil Food Service Vision montre clairement ce rôle d’accélérateur qu’a eu l’épidémie de Covid 19 dans le recours au digital pour les restaurateurs.

Son CEO, François Blouin nous rappelle

« 1/3 des ventes ont été réalisées en livraison (34 %) et 2/3 en V.A.E (66 %) » entre les mois de septembre et novembre 2020, et que ce secteur n’a perdu « que » 54 % d’activité en novembre contre 80 % au plus fort du premier confinement ».

(François Blouin – CEO Food Service Vision)

Application de commande auprès des restaurant en ligne

 

Une alternative aux plateformes de livraison, le click and collect

Si le service rendu aux consommateurs par ces plateformes de livraison à domicile est indéniable, par leur aspect ludique et confortable, il peut également être perçu comme une contrainte pour certains chefs d’établissement, comme l’explique Xavier Zeitoun, co fondateur de Zenchef :

« commissions élevées, dépendance, standardisation de l’offre, faibles marges, nécessité de construire une carte réduite et adaptée au packaging en carton, stratégie de communication {…} les restaurateurs indépendants risquent d’être dépassés par les chaînes qui ont plus de moyens et qui sont mieux organisés. »

Lors du 1er confinement, son entreprise Zenchef, qui propose un logiciel de pilotage et de gestion à l’adresse des restaurateurs, a mis à leur disposition un module de commande en ligne pour le Click and Collect,

« qui a été adoptée depuis le mois de Juin 2020 par plus de 1000 restaurants et a permis de générer plus de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires ».

La foodtech met son grain de sel                                                        

Les acteurs de la foodtech proposent de nouvelles solutions afin de digitaliser certaines phases du parcours client. On peut bien évidemment citer les outils de réservation en ligne, mais l’expérience utilisateur ne s’arrête pas là.

La solution Pepeat par exemple, permet au client qui vient de s’installer à table de passer commande directement sur son smartphone et de régler l’addition via l’application en fin de repas. Un gain de temps pour le consommateur comme pour le serveur, qui peut se concentrer davantage sur l’accueil et la convivialité.

D’autres proposent le paiement de la note via un chatbot.(facebook messenger)

Forme ultime de la digitalisation des moyens de paiement, l’emblématique carnet de tickets restaurant remplacé par une carte magnétique.

L’émergence de la foodtech se matérialise aussi à travers des solutions de simplification des outils de pilotage et de gestion du restaurant.

On peut citer les nouvelles caisses enregistreuses intelligentes et digitales, les applications pour gérer le personnel (e-recrutement), ou encore de nouvelles méthodes d’approvisionnement avec l’exemple de Califrais, plateforme qui propose aux restaurateurs un service de mise en relation directe avec les producteurs, tout en garantissant une éthique bio et éco responsable.

Comme nous venons de le voir, le digital impacte tous les maillons de la chaîne de valeur des restaurateurs (achats, transformation, vente, RH, marketing/communication…) et ne cesse de progresser auprès des professionnels du secteur.

brigade de livreurs a vélo deliveroo

 

La digitalisation a-t-elle sauvé la restauration ?

Les confinements successifs auront poussé de nombreux restaurateurs à enclencher la transition numérique de leur établissement, les outils à leur disposition étant de plus en plus variés et accessibles. Une voie pérenne afin d’élargir leur clientèle sans augmenter la surface de vente tout en générant des revenus, subsidiaire en temps de crise, supplémentaire en temps normal.

Nous n’assistons qu’aux prémices de cette révolution numérique, tant les progrès technologiques ouvrent le champ des possibles.

Se faire servir par un robot n’est plus de l’ordre de la science-fiction aujourd’hui, le Cloi Servebot développé par LG est en action depuis 2019 dans un restaurant de Séoul.

La robotique donc, l’utilisation d’intelligences artificielles également, tellement prometteuses pour l’optimisation des outils et du traitement des données.

Mais malgré cette évolution qui semble incontournable, gardons tout de même à l’esprit que 60% des restaurants utilisent encore des cahiers de réservation papier, et que de nombreux restaurateurs sont encore réticents à se lancer dans ce grand bain technologique.

Dans les faits, les innovations technologiques se concentrent prioritairement dans les métropoles, et elles profitent essentiellement aux grandes enseignes de Fast Food, dont la puissance d’investissement considérable leur a permis de développer très tôt la digitalisation de leurs systèmes.La digitalisation peut-elle sauver la restauration ?

S’appuyant sur une notoriété déjà bien établie, et sur le travail des plus prestigieuses agences de communication (Buzzman) les géants comme McDonald’s ou Burger King sont les champions de la communication digitale, d’autant plus efficace qu’elle s’adresse prioritairement à un public aguerri à ces usages et coutumes.

Le succès du digital ne serait-il que la partie émergée de l’iceberg, alors que la plupart des restaurateurs ne se reconnaissent pas dans cet univers virtuel ?

L’ art de la bonne chère, de la bonne cuisine, des bons repas, est évidemment indissociable des valeurs de convivialité et de partage, et certains patrons vont jusqu’à interdire l’utilisation de téléphones ou de tablettes dans leur salle.

L’Allemagne a même légiféré en 2015 pour interdire le partage de photos de plat au restaurant, considéré comme une œuvre protégé par le droit d’auteur.

Restauration et digitalisation , encore de belles heures de débats à table 🙂

Et vous qu’en pensez vous ?

Lisez l’intégralité de l’interview de Guy savoy Ici

Cet article se partage comme un bon plat...

La digitalisation peut-elle sauver la restauration ?

 

Les Apps sur Apple Store :

THE FORK

DELIVEROO

UBER EATS

YELP

PEPEATS

ZENCHEF

TRIPADVISOR

Autre article sur la transformation digitale :

https://mbamci.com/pme-tpe-transformation-digitale-acquisition-client/

Sources :

https://www.foodservicevision.fr/wp-content/uploads/2018/02/FSV_feed_your_vision_digital.pdf

https://www.selligent.com/fr/blogs/inspiration/le-digital-bouleverse-le-secteur-de-la-restauration

https://blog.freddelacompta.com/innovation/digitalisation/restauration-quand-le-digital-sinvite-a-votre-table/

https://www.maddyness.com/2019/06/05/comment-la-fintech-et-le-digital-revolutionnent-le-monde-de-la-restauration/

https://www.izipass.pro/fr/le-digital-un-passage-oblige-pour-les-restaurants/

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-professionnels-de-la-restauration-la-digitalisation-est-un-facteur-de-reussite-211209

https://www.webmarketing-com.com/2018/09/04/84023-30-conseils-pour-rediger-un-article-de-blog-parfaitement-irresistible

https://www.conseilsmarketing.com/mailings/2-techniques-simples-pour-obtenir-un-plan-darticle-de-blog-qui-va-cartonner/

https://www.facilities.fr/wp-content/uploads/2016/11/Marche_Restauration_2016.pdf

https://www.capital.fr/conso/au-restaurant-en-chine-le-serveur-est-un-robot-1301692

https://fr.euronews.com/2020/11/19/un-cafe-de-moscou-se-dote-d-un-serveur-robot

https://blogs.mediapart.fr/mathieu-dacheville/blog/160317/quelle-est-la-place-pour-le-digital-dans-la-restauration

https://restobuzz.ma/comment-le-digital-bouleverse-la-restauration-rapide/

https://www.restoconnection.fr/le-digital-dans-votre-restaurant-un-allie-contre-la-crise/

https://www.svp.com/article/vente-a-emporter-et-livraison-la-foodtech-au-secours-de-la-restauration-100011121

https://blog.zenchef.fr/le-smartphone-de-vos-clients-une-arme-marketing-pour-votre-restaurant/