Alors que les nouveaux usages numériques se sont démultipliés, que les achats en ligne se sont envolés, accélérés par la pandémie, alors que le canal numérique devient le canal d’accès prioritaire aux services publics (dématérialisation des démarches administratives), une partie de la société reste exclue de ce quotidien digital, faisant de l’inclusion numérique un enjeu de taille.

Ils seraient environ 13 millions, soit près de 20% de la population française selon l’INSEE, à demeurer mal ou pas du tout connectés. Les critères de discrimination les plus évidents sont l’âge et les revenus. Mais il faut combattre les idées reçues, ce n’est pas parce qu’on est équipé avec des outils numériques et qu’on les utilise, que l’on est à l’aise avec les technologies digitales.

Quelles sont les principales causes de cette fracture numérique ? quels sont les enjeux à intégrer toutes les populations dans cette révolution et surtout comment favoriser l’e-inclusion ?

Qu’est-ce que l’inclusion numérique ?

Pour bien comprendre : quelques définitions.

L’« illectronisme » est un néologisme né de la contraction des notions d’illettrisme et d’électronique. Inhabileté ou précarité numériqueillettrisme numérique, ou encore illettrisme électronique, toutes ces expressions reflètent la difficulté, voire l’incapacité, que rencontre une personne à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques en raison d’un manque ou d’une absence totale de connaissances à propos de leur fonctionnement.
C’est une nouvelle cause d’inégalité sociale, culturelle et économique ; ceux qui en sont atteints, sont les nouveaux exclus de notre société.

Mais je préfère parler d’inclusion numérique (ou e-inclusion), car l’objectif est de trouver des solutions et viser à rendre le numérique accessible à chaque individu et lui transmettre les compétences numériques qui seront un levier de son intégration sociale et économique.

Enfin, la digital literacy ou la littéracie numérique est « l’aptitude à comprendre et à utiliser le numérique dans la vie courante, en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses compétences et capacités.
C’est l’empowerment attendu des populations.

Quelles sont les causes de l’exclusion numérique ?

19% des français auraient renoncé à faire quelque chose parce qu’il fallait utiliser internet*. Les principales raisons sont les suivantes :

  • L’absence d’équipement ou d’accès aux réseaux : les fameuses zones blanches, non-couvertes par internet toujours existantes mais qui se réduisent – pour d’autres, une question de coût, nécessaire pour acquérir une connexion mais insurmontable pour des budgets serrés. Alors que le droit à internet devrait être le même que le droit à l’eau et à l’électricité.
  • Le manque de formation & les difficultés d’usage qui touchent toutes les classes d’âge.
  • La peur du piratage et du monde numérique : la méfiance accrue chez les gens moins à l’aise peut amener à une défiance envers les technologies.

Les critères de discrimination les plus évidents sont l’âge et les revenus, ainsi les personnes âgées ou aux ressources financières limitées se retrouveraient discriminées. Cependant, ce n’est pas uniquement les contraintes économiques et l’accès à un équipement et un réseau qui pénalisent. Avoir un accès aux infrastructures nécessaires n’est pas suffisant, il faut disposer des connaissances nécessaires à l’utilisation des outils numériques et à une utilisation positive d’Internet. Au-delà des outils, ce sont les usages que nous en faisons les uns et les autres qui transforment durablement notre manière de vivre ensemble, de communiquer, de s’informer, d’apprendre, de travailler, de se déplacer, de consommer.

Enfin il est nécessaire d’avoir un regard critique sur les technologies numériques pour éviter d’adopter les comportements à risque.

Combattre les idées reçues : ce n’est pas parce qu’on est jeune, que l’on est habile avec le numérique.

Non, les digitale native ou « enfants du numérique » ne sont pas épargnés par l’illectronisme. Pour preuve, les constats ci-dessous :

« Nombre de jeunes savent très bien se servir des réseaux sociaux ou jouer à Fortnite. Mais dès qu’il s’agit de s’inscrire à Pole Emploi, faire une déclaration d’impôt en ligne, faire un CV ou forwarder un email [transférer], c’est plus compliqué. Cet exemple d’un jeune disant à son conseiller Pole Emploi qu’il ne savait pas forwarder un email m’est revenu plusieurs fois. »
Cédric O, secrétaire d’État au Numérique

« On constate que certains jeunes ont un usage récréatif du numérique et qu’il n’y a pas forcément de transfert de compétence vers des usages à visée professionnelle ou d’insertion », explique Thomas Vandriessche, responsable des solutions numériques chez WeTechCare, association qui travaille à l’inclusion numérique.

Souvent, on ne va pas vers les jeunes car on pense que comme ils sont déjà connectés et passent leur vie sur les réseaux sociaux, ils maîtrisent les outils. Cependant, il y a différents types d’exclusion : on peut être à l’aise avec une technologie et pas avec une autre. Que l’on soit jeune, âgé, valide ou non, salarié ou sans emploi, l’exclusion numérique est un handicap majeur dans une société hyper connectée. Le confinement et le télétravail ont été de véritables révélateurs et doivent servir la prise de conscience collective et gouvernementale.

 

Quels sont les enjeux de l’inclusion numérique ?

Les enjeux de l’e-inclusion dépassent le simple accès et l’utilisation élémentaire des outils numériques ; ils concernent plus largement la capacité à les maîtriser pour améliorer sa qualité de vie et participer aux différentes sphères de la société mais aussi à avoir un regard critique. Autrement dit, la capacité effective à exercer son rôle de citoyen actif et autonome dans une société où le numérique joue un rôle essentiel.

L’ensemble des activités du quotidien et des besoins sociaux se numérisent, mettant en valeur les différences d’accès entre citoyens :

L’emploi : le numérique, outil d’insertion professionnelle, de formation pour les métiers de demain et d’employabilité pour les actifs en poste.

Internet s’est aujourd’hui imposé comme un vecteur majeur de la recherche d’emploi : 88% des annonces y sont aujourd’hui publiées. A l’heure où de nombreux emplois ne sont pas pourvus (Article Les Echos sept 2021 – Le nombre d’offres d’emplois atteint des records en France), il est indispensable de former les populations concernées à la recherche d’emploi sur internet.

Sans doute serait-on surpris de constater que même les salariés en poste ne sont pas à l’aise avec l’avalanche de nouveaux outils numériques qui accompagnent les transformations des organisations. Des tâches en apparence anodines requièrent que l’on comprenne les outils sans les subir  et avoir le sentiment d’être dépassé, nourrit par le rythme imposé par le renouvellement rapide des outils numériques. L’employabilité est bien l’enjeu de ces populations.

L’avancée numérique détruit des emplois mais génère de nouveaux métiers. Elle bénéficie à ceux qui la comprennent et pénalisent ceux qui ne disposent pas des clés et des ressources pour entrer dans ce nouveau monde. L’emploi de demain sera numérique : 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore. Il l’est déjà aujourd’hui et l’on ne parvient pas à pourvoir l’ensemble des postes liés au numérique. Il est indispensable d’inclure le numérique dans l’éducation nationale pour former les futurs acteurs.

L’inclusion sociale et le bien-être des citoyens.

Le numérique simplifie le quotidien des citoyens, leurs démarches, rapprochent les familles éloignées, rend le savoir accessible, fait gagner du temps.

Mais ces avancées n’en seront que si elles sont centrées sur les besoins et les intérêts des usagers – comme tout bon service digital elles se doivent d’être customer centric – et uniquement si elles sont un sujet d’équité et d’égalité des droits.

Les économies des services publics.

La digitalisation des services publics entamée depuis plusieurs années serait une source d’économie substantielle pour les administrations. Le rapport France Stratégie, commandé par le secrétaire d’État chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi, et présentant les bénéfices d’une meilleure autonomie numérique évoque des gains de 200 millions d’euros de bénéfices annuels, lié à simplification des démarches administratives. Et pour l’usager un usage plus rapide, plus souple et plus sûr, mais réservée aux connectés.

Il évoque également le développement de l’e-santé qui permettrait aux patients d’éviter certaines consultations, et à la Sécurité sociale d’économiser quelques dépenses, leur faisant gagner respectivement 10 et 20 millions d’euros par an.

Mais qui dématérialise doit assumer la formation de ses usagers, et il reste des progrès à réaliser sur ce point.

 

Quelles solutions pour favoriser l’inclusion numérique ?

Le processus e-inclusion comprend l’ensemble des politiques et stratégies qui mènent à la création d’une société de l’information « inclusive », qui puisse bénéficier à toutes et à tous sans exclure des citoyennes et citoyens de communautés marginalisées. L’enjeu est évidemment important pour les populations fragiles mais pas uniquement, il l’est pour l’ensemble des acteurs de la société.

Former les plus en retard.

De nombreux acteurs publics et privés s’engagent pour apporter des solutions et priorisent les plus en retard ou les plus marginalisés en allant à leur rencontre.

C’est le cas des ateliers Digitruck, un camion itinérant qui intègre une salle de classe tout équipée. Celui-ci est destiné à se déplacer au plus proche des personnes éloignées du numérique (pour les accompagner vers leur autonomie dans l’utilisation des outils numériques. Donner des ateliers d’acculturation aux développements web. Former des aidants (professionnels et bénévoles) aux techniques d’animation d’ateliers numériques) ou d’Emmaüs Connect, qui s’engage à faire reculer l’exclusion numérique et sociale.

Mais il ne faut pas pour autant perdre de vue les profils qui semblent ne pas en avoir besoin comme les jeunes ou les actifs.

Former les jeunes.

Selon Guy Mamou-Mani dans son livre « l’Apocalypse numérique, n’aura pas lieu », pour préparer les jeunes aux métiers de demain, il faudrait dès l’école primaire, apprendre aux élèves les bases de la pensée informatique et algorithmique et les initier à des langages de programmation simples. « Au collège, tous devraient avoir atteint un niveau homogène de familiarité avec la pratique active de la programmation, l’algorithmie, le fonctionnement des instruments ».

Mais il faut aussi éveiller les nouvelles générations aux nouveaux métiers du numérique, dont de nombreux postes restent vacants et les sensibiliser aux nombreux nouveaux métiers qui n’existent pas encore mais qui auront besoin d’eux.

Cependant, l’une des conditions de succès reste la formation des enseignants, comme celle des conseillers d’éducation dont la mission est d’éveiller des vocations vers les métiers d’avenir.

Former les actifs.

Dans de nombreuses professions ne pas se former, c’est se détruire. Tant de professions ou d’entreprises n’ont pas su prendre le virage du digital et la pandémie mondiale a révélé et amplifié ces lacunes. L’enjeu est important pour maintenir les populations actives en poste.

Malgré la multitude de structures prêtes à agir face à l’exclusion numérique en France, leur nombre reste insuffisant face à l’ampleur des besoins, et leur fonctionnement en silos ne permet pas d’accompagner au mieux les millions de Français insuffisamment connectés. Toutes les solutions du monde ne seront jamais concluantes si on n’engage pas les populations et si elles ne se positionnent pas dans une volonté d’apprendre. Oser demander de l’aide, s’inscrire à des formations, ce qui revient à s’affranchir d’une forme de pudeur, comme pour l’illettrisme.

Développer les compétences techniques de base et l’acculturation numérique, un prérequis à toutes les transformations numériques. L’objectif est de devenir un véritable sujet de la société numérique, une acceptation choisie et non subie et non simplement des consommateurs sans conscience.

 

Pour conclure.

Pour bien comprendre les enjeux de l’inclusion numérique, il faut intégrer le fait que la transition numérique est une question culturelle : être inclus dans le monde numérique passe par la maîtrise des outils et des techniques, mais c’est avant tout une question de représentation : le numérique est-il pour moi ? ai-je ma place dans cette société numérique ?

Pour cela, il faudrait aussi que les producteurs et concepteurs du monde digital prennent conscience des obstacles que rencontrent les « illectronismes » et qu’ils mettent en œuvre des usages plus facilement accessibles au grand public. Car le problème réside aussi dans le fait que l’on y parle un langage seulement compris des initiés, que l’on y réinvente des termes complexes sur des méthodes déjà éprouvées. Désacraliser le digital pour les non-native peut faire partie de la solution, adoucir le ton parfois hautain d’un secteur hype, pour embarquer plus de monde dans ces possibilités infinies que nous offrent le digital, afin que chacun se sente légitime, y comprennent les codes, et considère qu’il y a sa place.

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Pour aller plus loin :