Depuis plusieurs années, la gamification est apparue dans de nombreuses applications et domaines. Parmi ceux-ci on trouve le marketing, la communication, l’éducation, la santé, le sport, les finances, le commerce, le divertissement, ou encore la productivité en entreprise. L’enjeu pour l’entreprise, d’intégrer ce type de stratégie, est double. D’un côté, elle doit comprendre ce qui engage et motive l’individu dans un environnement de jeu ; de l’autre elle doit saisir la portée stratégique de la gamification. Décryptons les règles du jeu de la gamification.

Le profil d’un gamer

Les défis, la rivalité, l’incertitude, l’excitation et les récompenses sont autant d’éléments qu’un individu recherche naturellement lorsqu’il joue. Au fil des générations, ses intentions n’ont pas énormément évolué puisqu’il est toujours à la recherche de ce type d’émotions.

D’après l’étude SELL/GfK « les Français et le jeu vidéo », 62% des français considèrent le jeu vidéo comme une activité positive.
Ces mêmes français ont pour habitude de jouer 3 heures par semaine sur smartphone ou tablettes. À cela, il faut ajouter 2,1 heures supplémentaires pour ceux identifiés comme étant des joueurs. La moyenne d’âge d’un joueur est de 34 ans, s’il est un joueur régulier, ce sera un homme dans 53% des cas.

Statistiques des joueurs et moyenne d'âge Etude SELL/GfK

Le jeu reste un loisir et touche toutes les tranches d’âges et les femmes ne sont pas exclues puisqu’elles représentent 47% des joueurs réguliers.

Pourcentage de joueurs par tranche d'âge Etude SELL/GfK

Dans cette étude, on remarque que la pratique du jeu vidéo procure des émotions mais surtout qu’elle est associée à une expérience positive.

Intégrer la gamification à des domaines non ludiques serait-elle garante d’une expérience positive ?

La gamification, pour quels objectifs ?

Rappelons que la gamification consiste à incorporer des éléments de la mécanique du jeu dans des contextes non ludiques afin de rendre un produit ou un service plus amusant, encourageant, motivant. La gamification peut répondre à plusieurs objectifs, parmi lesquels :

Objectif 1 :

Elle peut aider un individu à changer ses habitudes sur l’utilisation d’un service ou d’un produit. Les bracelets connectés en sont un exemple. En effet, l’une des promesses de ce type de produit est de vous aider, par exemple, à atteindre votre objectif de pas journalier et ainsi lutter contre la sédentarité. Cet objectif repose sur la recommandation de la Fédération Française de Cardiologie : avoir une activité physique de 30 minutes par jour. Ce qui permet de réduire jusqu’à 30% les maladies cardio-vasculaires.




Objectif 2 :

Elle peut permettre à l’entreprise d’accompagner ses collaborateurs lors d’un changement d’organisation interne. Par exemple avec l’application Habitica, l’entreprise détermine la répartition des tâches de ses collaborateurs dans le but d’accroître sa productivité. Cette application propose d’aborder la vie en entreprise comme un jeu.

Exemple gamification tableau de bord application Habitica

Objectif 3 :

Elle peut accompagner une entreprise qui souhaite inciter ses clients à s’engager et s’investir davantage avec une marque. Par exemple en intégrant des programmes de fidélité et d’adhésion complets à travers tous les supports web et mobile d’une marque.

Quel que soit l’objectif initial, pour réussir une gamification efficace, il est essentiel d’intégrer ces 3 éléments clés :

  • Les feed-back ou boucle de rétroaction (avoir une visibilité en temps réel de sa progression)
  • Le challenge (donner envie à l’individu de récolter le plus de points possibles)
  • La récompense (offrir la perspective de gagner une récompense physique ou virtuelle en fonction du profil de l’individu)

Nous venons de voir à travers les différents objectifs que la gamification peut s’appliquer aussi bien à des collaborateurs qu’à des clients. Si une entreprise souhaite la mettre en œuvre, elle doit nécessairement intégrer les 3 éléments clés ci-dessus mais aussi connaitre ses effets sur les individus.

La gamification, à la recherche d’émotions positives

Lors d’une méta-analyse (a) combinant 24 études scientifiques, Hamari et al. (2014), la gamification a pu être évaluée. Il en ressort que dans la majorité des cas, la gamification a un effet psychologique positif sur la motivation, la joie ou encore le plaisir. Un autre effet induit est relevé, l’effet comportemental positif comme la participation ou la performance.

Cette méta-analyse confirme que les individus recherchent dans la gamification des émotions positives. Ces émotions peuvent être générées grâce aux mécanismes empruntés aux jeux, à savoir :

  • Être gratifiés même par une simple récompense virtuelle (Chaque mission ou quête devant être accomplie dans le jeu est accompagnée d’un retour immédiat pour garder l’individu intéressé et impliqué)
  • Gagner au jeu génère de la Dopamine (hormone du plaisir)
  • Se mettre en compétition, se fixer des objectifs à atteindre
  • Appartenir à une société (rencontrer et entrer en contact avec de nouveaux individus aux intérêts et passions identiques)

La gamification par l’exemple

Voici trois exemples d’applications qui chacune dans leur domaine ne traitent pas de sujets faciles. Mais leur approche via la gamification rendent ce domaine accessible au plus grand nombre.

L’exemple de Duolingo ou comment apprendre les langues en s’amusant

Gamifier, c’est transformer une tâche rude et ennuyeuse en une activité attractive et agréable. Prendre du plaisir en s’amusant c’est la promesse de Duolingo, une application qui permet d’apprendre une langue aisément car n’oublions pas « La conception d’un jeu consiste à faire en sorte que l’utilisateur puisse réaliser une action libre et consciente » selon Johan Spielmann, Senior Producer chez Pastagames.

Notons que pour l’apprentissage d’une langue étrangère, il est difficile de se motiver dans la durée, surtout lorsqu’on est tout seul face à une interface digitale ou avec un dictionnaire.

Duolingo a bien compris cette problématique, et a su y répondre avec une stratégie qui s’opère en 3 étapes.

  • 1ère étape : En fonction de la durée quotidienne que s’est fixé l’utilisateur (entre 5 et 20 minutes), l’objectif final est divisé en petites unités réalisables qui sont systématiquement accompagnées d’encouragements dès lors qu’elles sont accomplies.

Exemples fonctionnement Duolingo

  • 2ème étape : Pour aider l’utilisateur à continuer de progresser, Duolingo propose un tableau de bord simple et clair regroupant une barre de progression, des badges, un tableau de classement par rapport à d’autres utilisateurs. Ainsi, d’un coup d’œil l’utilisateur connait son état d’avancement par rapport à son objectif quotidien et final. Lorsque l’utilisateur fait une erreur, il perd une vie, symbolisée par un cœur, en revanche s’il termine une leçon, il gagne des points. Lorsqu’un niveau est terminé, il obtient des badges de réussite.

Exemple gamification Tableau de bord Duolingo

  • 3ème étape : Pour inciter l’utilisateur insuffisamment motivé en début d’apprentissage, Duolingo a déterminé le meilleur moment pour qu’il se reconnecte et poursuive son apprentissage quotidien. Au bout de 23,5 heures écoulées, Duolingo envoie des mails ou des notifications afin d’encourager l’utilisateur à se reconnecter.

Ces mécanismes empruntés à l’univers du jeu ont pour objectif de motiver et d’aider l’utilisateur à atteindre son objectif final. Ils permettent aussi d’éviter que l’utilisateur ne s’ennuie ou arrête d’utiliser l’application.

L’exemple de Grasshopper ou comment coder devient un jeu d’enfant

Le principe de cette application est de proposer d’apprendre « les fondements » du code JavaScript de façon ludique au travers de courts exercices ludiques puis de quiz. Pour cela, la sauterelle ou mascotte de l’application, met à disposition de l’utilisateur un éditeur de code personnalisé en faisant apparaitre les morceaux de codes en même temps que ses actions de déplacements. Lors du codage, l’application pointe du doigt les erreurs de script en temps réel ce qui permet de comprendre ses erreurs donc de progresser.

Au fur et à mesure des difficultés croissantes matérialisées par les différents niveaux de jeu, l’utilisateur va développer des compétences qui lui permettront d’obtenir un diplôme virtuel.

Ce type d’expérience gamifiée permet à l’utilisateur d’être accompagné. Il a un retour de ses actions en temps réel. On limite ainsi le découragement et l’abandon même si le codage n’est pas son fort.

L’exemple de l’application Grasshopper démontre les avantages d’une stratégie de gamification pour encourager l’utilisateur.

Démonstration gamification application grasshopper

L’exemple de Shapr, une expérience sociale et locale

Shapr est une application de networking qui vous propose une liste de professionnels à rencontrer chaque jour basée sur la localisation, les intérêts et les anciennes expériences de l’utilisateur.

Etapes gamification application shapr

Chaque jour, l’application propose de rencontrer de 5 à 10 utilisateurs présélectionnés et cela, en moins de 3 minutes. L’utilisateur de l’application sélectionne anonymement la ou les autres utilisateurs qu’il souhaiterait rencontrer autour de centres d’intérêts communs et géographiquement proches. Pour rendre l’expérience ludique, Shapr propose à l’utilisateur de faire un « swipe » vers la droite pour rencontrer l’utilisateur que l’application lui propose ou, vers la gauche pour ne pas le sélectionner. Lorsque l’utilisateur « swipe » l’algorithme apprend, afin de lui proposer des utilisateurs de plus en plus pertinents, jour après jour. Si deux utilisateurs expriment la même envie de se rencontrer, l’application le détectera et enverra une notification aux deux. L’utilisateur pourra aisément obtenir une entrevue afin d’échanger autour d’un café.

Ce lien social est plébiscité par Johan Spielmann, Senior Producer chez Pastagames « C’est une nécessité absolue lorsque les personnes qui créent des applications créent du lien social et poussent les utilisateurs à interagir avec d’autres utilisateurs ».

Nous avons vu qu’en chaque individu se cache un joueur potentiel, que la gamification répond à des objectifs qui peuvent servir tantôt l’utilisateur, tantôt l’entreprise. Elle s’appuie sur des mécanismes psychologiques et émotionnels positifs pour mettre l’individu dans un état lui octroyant du plaisir. Les différents exemples ont confirmé son utilisation actuelle et sa démocratisation. Toutefois, chaque chose a son contraire. Aussi, la gamification peut se révéler dangereuse pour l’individu si l’objectif n’est pas de le rendre heureux. Entre les objectifs mercantiles de l’entreprise et les attentes de l’individu, il est souhaitable de trouver le bon équilibre pour ne pas dégrader le bien-être de ce dernier. Pourquoi ne pas mettre en place une éthique de la gamification, au profit de l’individu et non pas uniquement au profit de l’entreprise ?


Lexique : (a) Une démarche scientifique combinant les résultats d’une série d’études indépendantes sur un problème donné.


Sources :

Comarch Livre blanc « Premier pas dans la gamification »

– Carine Lallemand, Guillaume Gronier (2015). Méthodes de design UX : 30 méthodes fondamentales pour concevoir et évaluer les systèmes interactifs. Eyrolles

– Clément Muletier, Guilhem Bertholet, Thomas lang (2014). La gamification ou l’art d’utiliser les mécaniques du jeu dans votre business. Eyrolles


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