League of Legends, Fortnite, Dota 2… Au cours de ces dernières années, nous sommes spectateurs d’un phénomène prenant de plus en plus d’ampleur dans le monde des loisirs et dans notre société, l’Esport. Ce dernier reprend les codes, les valeurs du monde du sport et les réinterprète à sa manière. L’intérêt grandissant auprès des « jeunes » générations incite les enseignes, médias et autres entreprises à se pencher sur le berceau de ce nouveau-né très convoité. Avec cette arrivée, le sport traditionnel voit son quotidien chamboulé et arrive à un tournant où une problématique existentielle doit être résolue : dois-je considérer l’Esport comme un ennemi ou au contraire comme un ami voire un membre de ma famille ?
Qu’est-ce que l’Esport ?
Avant de nous lancer au cœur du sujet, il serait intéressant de rappeler ce que signifie le mot Esport.
Selon, PedaGoJeux.fr (site destiné aux parents pour comprendre le monde du jeu vidéo), l’Esport se définit de la manière suivante :
« Contraction du terme anglais “electronic sport”, littéralement “sport électronique”, l’e-sport désigne la pratique des jeux vidéo compétitifs, c’est-à-dire les jeux où le joueur affronte, seul ou en équipe, d’autres joueurs »
Partant de cette définition, nous pouvons remarquer que certains mots utilisés (sport, pratique, compétitifs, joueurs, équipe) font écho à un secteur que nous connaissons bien, le sport. Mais alors, si les principes même de ces deux univers sont semblables, il est plus que légitime de nous poser certaines questions : Esport et sport sont-ils en concurrence ? Les événements liés à cette nouvelle tendance vont-ils détrôner les grands rendez-vous tels que la coupe du monde de football ou encore le tournoi de Roland Garros ?
Des chiffres qui donnent le vertige
Ces dernières années, l’Esport accélère sa croissance de manière exponentielle. Selon une étude réalisée par l’AFJV (Agence Française pour le Jeu Vidéo), les investissements du secteur n’ont jamais été aussi élevés.
A mi-2018, un premier bilan de l’Esport a été réalisé avec des résultats impressionnants :
- Une centaine d’opérations réalisées ayant vu transiter 1.6 milliard d’euros ;
- Recensement de 17 400 gamers actifs en 2017 contre 8 000 en 2014 ;
- 99 millions d’euros de dotations versées aux compétiteurs
Les prévisions mondiales pour 2 022 sont quant à elles vertigineuses :
- Des budgets Sponsoring et Publicité de l’ordre de 1 035 millions d’euros soit une croissance de 104% vs 2018
- Une volonté de la part des éditeurs et studios de création d’investir 1 200 millions d’euros (+542% vs 2018)
- Des paris sportifs atteignant 426 millions d’euros (+294% vs 2018). Une augmentation dopée par une nouvelle législation plus libérale sur le sujet des paris aux Etats-Unis.
La France n’est pas en reste puisque 12% des internautes (soit 5.5 millions) ont déjà regardé de l’Esport sur Internet, à la télévision ou lors d’un événement. Oubliez vos préjugés sur le profil d’un amateur d’Esport (jeune avec problème d’acné) car la tranche d’âge des 35-49 ans est celle qui consomme le plus (1/3 des téléspectateurs contre ¼ pour les 15-24 ans). Encore plus étonnant, les CSP+ représenteraient 30% des téléspectateurs.
Bien évidemment, comparés à ceux du marché mondial du sport, représentant 90.9 milliards d’euros de recettes, ces résultats plus que positifs sont à relativiser. Pour le moment, l’Esport n’est pas encore prêt à concurrencer le secteur du sport, si l’on considère uniquement les chiffres.
L’Esport, future menace…
Bien que le sport dispose d’une longueur d’avance, il est important de tenir compte des dernières actualités qui pourraient faire basculer la balance de l’autre côté.
De nouveaux partenariats voient le jour dans le monde du Esport, parfois au détriment du sport. En novembre 2018, McDonald’s annonce la fin de son partenariat avec la fédération allemande de football. L’enseigne de fast food a préféré concentrer ses efforts (et investissements) sur l’Esport en signant un contrat avec l’ESL (Electronic Sports League – la plus grande société organisatrice de compétitions Esport au monde).
« Cette avancée dans l’Esport est absolument bénéfique pour nous. Nous constatons un impact positif sur la notoriété de marque au sein de l’audience ciblée » Philipp Wachholz, porte-parole McDonald’s Allemagne
D’autres grandes marques s’engouffrent également dans cette tendance. Nike serait en discussion avec la LPL (League of Legends Pro League – ligue officielle chinoise du jeu League of Legends) pour signer un contrat de cinq ans de 144 millions de dollars. Cet accord entre l’une des plus puissantes marques de sportswear et une ligue d’Esport serait alors une première mondiale. L’enseigne avait déjà fait un premier pas en signant un contrat de partenariat avec Jian Zihao alias Uzi, joueur chinois de la LPL.
Ces nouvelles alliances intéressent les médias qui, curieux de ce phénomène, couvrent de plus en plus les grands événements d’Esport. Désormais, il n’est plus étrange de voir des articles sur le site Internet de L’Equipe, mentionnant les compétitions mondiales LoL (League of Legends), Counter Strike ou Dota 2 pour ne citer que les plus populaires.
Les tournois attirent également l’attention des pays et villes qui, comme pour les Jeux Olympiques ou la coupe du monde de football, se disputent la place d’hôte. En 2017, la finale du championnat du monde LoL à Beijing avait réuni 60 millions de téléspectateurs ce qui en fait le plus grand événement mondial d’Esport. Pour 2019, c’est Paris qui accueillera la finale après avoir remporté l’appel d’offres lancé par Riot (éditeur du jeu LoL) ce qui augure des retombées économiques très positives pour la ville.
L’intérêt grandissant des marques, médias et même du secteur public prouve que l’Esport n’est pas un phénomène éphémère mais bien une tendance de fond. Si aucune action n’est entreprise par le monde du sport, il est probable que celui-ci voit baisser ses résultats, ses performances de vente ou tout du moins passer à côté d’un fort potentiel de croissance.
Ou un allié de choix pour l’industrie du sport ?
Heureusement, le sport est conscient de la formidable opportunité du Esport et n’a pas attendu d’en être témoin pour s’engouffrer dans ce nouvel univers.
Une grande ligue telle que la NFL (National Football League ou ligue professionnelle de football américain) profite de l’engouement de Fortnite (jeu coopératif de tir et de survie) pour créer un partenariat avec l’éditeur du jeu, Epic Games. Un teaser a même été dévoilé sur la plateforme Youtube annonçant l’arrivée de nouveaux skins (costumes) pour les personnages aux couleurs des équipes de la NFL. Ce coup publicitaire peut paraître futile mais la stratégie derrière est bien plus réfléchie que l’on peut le penser.
Pour ceux qui ne le savent pas Fortnite c’est 200 millions d’utilisateurs, jusqu’à 8.3 millions connectés en simultané, 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires provenant des achats en jeu (skins, armes…). Un grand nombre de joueurs Fortnite sont également fans de football américain, ce qui en fait de parfaits ambassadeurs pour représenter la NFL et augmenter sa notoriété ainsi que sa visibilité via les skins. Evidemment, l’objectif est d’atteindre un vivier de potentiels et futurs fans de football américain, habitant en dehors des Etats-Unis, dans des pays où l’engouement pour ce sport n’est pas aussi prononcé. Qui dit plus de fans, dit plus de vente de billets, de produits dérivés ou encore de followers sur les réseaux sociaux.
« Ce partenariat représente une grande opportunité pour les millions de fans NFL qui jouent au jeu et qui pourront exprimer leur attachement à une équipe à l’intérieur du jeu » Brian Rolapp, Responsable Media de la NFL.
Un autre exemple, la NBA (National Basketball Association ou ligue professionnelle de basketball) avec la création de la NBA 2K League. Cette joint-venture entre la NBA et Take-Two Interactive (éditeur de jeux vidéo) organise le championnat international Esportif de la NBA.
Tout comme pour la NBA classique, la formation des équipes est prise très au sérieuse avec des phases de sélection des nouveaux joueurs dont certains feront leur entrée lors de la draft (soirée annuelle, très populaire, au cours de laquelle chaque équipe de la NBA choisit et annonce le nom du nouveau membre qui intègrera la team). Les Esportifs peuvent gagner jusqu’à 35 000$ pour un contrat de six mois sans compter l’hébergement, l’assurance médicale ou encore le régime de retraite. Si de tels efforts sont réalisés, c’est que l’Ebasketball permet une surmédiatisation pour la NBA avec tous les bénéfices qui vont avec.
Enfin, les clubs sportifs eux-mêmes peuvent se créer une équipe Esport. C’est le cas de certains clubs de football comme le PSG qui ne se cantonne pas à Fifa mais participe à d’autres championnats et jeux comme Rocket League ou Dota 2. Un site Internet a même été développé pour présenter les différentes équipes qui composent le PSG Esports avec une « chaîne TV » où l’on peut suivre les actualités, les interviews des joueurs… La logique reste la même : renforcer le lien avec les fans, en recruter de nouveaux, développer son business dans le monde (Asie notamment) et augmenter les revenus provenant du sponsoring et du merchandising.
En résumé, le sport ne doit pas avoir peur de l’arrivée fracassante du Esport. Au contraire, ce nouveau secteur est une formidable opportunité pour accroître son marché sans aucune limite géographique. Finalement, l’Esport n’est que le prolongement du sport, un « petit frère » qu’il faut prendre sous son aile, l’aider à grandir pour en récolter par la suite les bénéfices.
Sources :
https://www.afjv.com/news/9187_1ers-resultats-du-barometre-de-l-esport-en-france.htm
https://fr.statista.com/statistiques/574702/recettes-totales-du-marche-du-sport-dans-le-monde/
http://sport-digital.fr/mcdonalds-lache-le-football-pour-lesport-en-allemagne/
http://www.sportspromedia.com/news/nike-league-of-legends-pro-league-sponsorship-deal
https://www.presse-citron.net/fortnite-rassemble-desormais-plus-200-millions-de-joueurs/