Le secteur de l’e-santé est un des secteurs les plus contradictoires dans le monde du Digital. C’est l’un des secteurs où le nombre de startups est considérable et dans lequel de très grandes entreprises d’autres secteurs commencent à investir. Mais c’est également un secteur où la réglementation et la sécurité des données sont clés et engendrent un nombre limité de lancements de services en mode industriel et des délais de mise sur le marché pouvant atteindre plusieurs années. Alors y-a-t-il des leviers pour optimiser la pénétration de l’e-santé sur le marché français?
Qu’entend-on par e-santé exactement?
Avant d’aller plus en détail sur ce secteur, revenons sur les fondamentaux. L’e-santé se décompose en 5 domaines :
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- domaine 1 : la prévention et la médecine prédictive, favorisant la prise en charge par le patient de sa propre santé et la mise en place de traitements “ciblés” le plus en amont possible.
- domaine 2 : “le bien vivre”, qui regroupe les dispositifs de wellness ou de bien-être telles que balances ou montres connectées permettant de se maintenir en forme.
- domaine 3 : le soin, qui regroupe la possibilité à chacun d’accéder à des soins de qualité de façon homogène sur tout le territoire, le partage de l’information sur les traitements du patient entre les professionnels pour prescrire au plus tôt les traitements adéquats et l’optimisation des coûts des soins via cet échange d’information digitalisé entre praticiens limitant les prescriptions redondantes.
- domaine 4 : l’accompagnement du patient/citoyen, via un échange plus systématique des informations entre lui et le corps médical, et favorisant sa participation à son suivi médical et à son maintien dans son environnement professionnel et social.
- domaine 5 : l’information, permettant au citoyen/patient d’avoir un statut clair à chaque étape de son parcours et la personnalisation de cette information en fonction de son besoin
Jusqu’à présent le secteur de la Santé est essentiellement focalisé sur le domaine du soin, mais le développement de l’e-santé pourrait très certainement conduire à rééquilibrer le poids de ces différents domaines entre eux, et augmenter encore l’efficacité bout en bout du suivi médical sur notre territoire.
Quels sont les freins au développement de l’e-santé en France?
Force est de constater qu’il subsiste encore en France de nombreux freins au développement de l’e-santé :
Les freins réglementaires
Même si les équipements médicaux connectés, plus communément appelés Dispositifs Médicaux (DM), n’ont pas les mêmes contraintes de mise sur le marché que les médicaments d’origine biologiques, (environ 10 ans avant mise sur le marché pour ces derniers), il n’en demeure pas moins que ces Dispositifs Médicaux doivent être conformes aux normes CE en vigueur pour ce type d’appareils. En moyenne, en 2017, la durée moyenne d’obtention de la norme CE pour ce type d’appareils est d’environ de 400 jours.
Les freins Sécurité des Données Personnelles
Les Dispositifs Médicaux doivent également suivre des règles strictes concernant la sécurité des informations de santé personnelles pouvant être stockées sur des Plate-formes d’hébergement. Ces règles, définies par l’ASIP Santé (Agence des Systèmes d’Information Partagé), garantissent d’une part la sécurité d’accès physique et informatique aux données par les personnes mandatées, et définissent également des règles de cryptage de l’information. C’est le ministère de la santé qui valide les demandes des professionnels de l’hébergement. Ces règles entraînent un ticket d’entrée élevé pour tout professionnel qui souhaiterait proposer ce type d’hébergement spécifique
Les freins d’adhésion des professionnels de santé
Une enquête en 2017 de l’ASIP Santé indique que seulement 37% des médecins sont convaincus que le digital va leur permettre d’optimiser les relations avec leurs patients et de libérer du temps (source Baromètre 360° Janvier 2018 de Odoxa). Le même baromètre indique également que seulement 45% des médecins pensent que les nouvelles technologies favoriseront à l’avenir la relation entre le médecin hospitalier et son patient.
Les freins d’interopérabilité entre les solutions digitales du marché
Le secteur de l’e santé est encore largement couvert par de petites structures. Sur les 1343 entreprises recensées en 2017 en France du secteur des Dispositifs Médicaux, 92% d’entre elles sont des PMEs (source medtechinfrance.fr). Ce morcelage du tissu industriel provoque également un morcelage des solutions techniques utilisées, rendant extrêmement difficile l’interopérabilité entre les solutions. Dans ce contexte, une utilisation en mode “intégré” par les professionnels de santé des différentes données remontant de ces dispositifs devient extrêmement complexe, voire impossible.
Les freins du système de remboursement français
Avec notre système de remboursement par la sécurité sociale et compte-tenu du coût généralement élevé des Dispositifs Médicaux le passage par l’étude de validation du remboursement est obligatoire pour prétendre pouvoir diffuser largement ce type d’équipement sur le territoire. A titre d’exemple avant remboursement par la sécurité sociale, le système de mesure de la glycémie Free Style Libre du laboratoire Abbott disposait d’environ 30 000 patients sur notre territoire. Après sa prise en charge à 100% par la sécurité sociale, le gouvernement espère 300 000 utilisateurs de ce système, soit 10 fois plus. La difficulté pour les industriels est donc de convaincre les pouvoirs publics de faire rembourser en partie ou en totalité les dispositifs médicaux, en prouvant leur efficacité thérapeutique et les gains financiers potentiels..avec des ROI parfois complexes à élaborer et l’intérêt économique des laboratoires qui reste un facteur déterminant.
Mais alors, y a-t-il des leviers qui pourraient favoriser le développement du marché de l’e santé en France?
Au regard de ces différents freins, on pourrait se poser la question sur le potentiel de développement du secteur de l’e-santé en France. Fort heureusement, les initiatives se multiplient et les signes sembles très encourageants :
Les patients adoptent les solutions digitales
Le digital s’est répandu dans la plupart des domaines de la vie courante. Dans le domaine de l’e-santé, les patients ont une maturité importante sur l’intérêt des solutions digitales pour les accompagner. Cette appétence des patients va très certainement impacter l’ensemble de l’écosystème du monde de la santé, qui va devoir s’adapter à ces nouveaux comportements d’usage.
De nouvelles ambitions des pouvoirs publics
Le gouvernement a annoncé le 13 février un plan stratégique ambitieux de transformation du système de santé français, basé sur 5 chantiers, dont un volet important sur l’e-santé
D’ici 2022, le Gouvernement fixe trois objectifs stratégiques :
- L’accessibilité en ligne, pour chaque patient, de l’ensemble de ses données médicales.
- La dématérialisation de l’intégralité des prescriptions.
- La simplification effective du partage de l’information entre tous les professionnels de santé.
Pour atteindre ces objectifs, une mission « E-santé » sera créée
Les GAFA prennent des initiatives sur le secteur de l’e-santé, en tout cas à l’étranger
Les très grands acteurs du Digital ont lancé diverses initiatives dans le secteur, avec par exemple Amazon qui a annoncé le lancement d’une société avec JP Morgan et Warren Buffet pour réduire les coûts d’assurance santé pour l’ensemble de leurs 500 000 salariés américains.
Apple quant à lui vient d’annoncer le 13 février un renforcement de son positionnement dans l’e-santé, avec le lancement au printemps d’un carnet de santé numérique pour ses clients basés aux US. Leur approche customer centric leur permet d’espérer de belles perspectives dans ce domaine.
Enfin Google et sa maison mère Alphabet investissent lourdement dans ce type d’activité en multipliant les initiatives, soit sur le projet Verily, en partenariat avec d’autres gros acteurs de la santé sur la donnée, l’IOT et l’IA, soit sur du Deep Learning avec Deepmind (même si le projet est remis en cause par les autorités londoniennes), ou encore sur Cityblock, le projet de centre médical en zones défavorisées.
De gros acteurs français investissent également le secteur de l’e-santé
De grands groupes français commencent à prendre la mesure du potentiel de ce marché et commencent à mettre en place des initiatives prometteuses pour le secteur.
Citons par exemple La Poste, qui a annoncé au C.E.S (Consumer Electronics Show) de Las Vegas, le lancement de son application La Poste esanté, permettant à ses utilisateurs de disposer d’un carnet de santé numérique sur lequel ils pourront collecter et stocker les données de leurs objets de santé connectés, ou celles transmises par le médecin ou autres organismes de santé.
Citons également les initiatives des mutuelles et des assurances, comme Harmonie Mutuelle (groupe VYV) avec son guide des objets connectés, permettant d’informer les internautes sur des objets de santé connectés, plutôt orientés “wellness”. AXA a également annoncé le rachat de Maestro Health, un acteur américain spécialisé dans les offres de santé aux entreprises Full Digital, et a annoncé un investissement, via son fond d’investissement Axa Strategic Ventures, dans la société Médiane, spécialisée en pré diagnostic médical via une solution d’Intelligence Artificielle.
Notons enfin l’acquisition début Février par Orange de Enovacom, afin de faciliter la connectivité entre les établissements de santé.
Mise en place de plate-formes de validation des Dispositifs Médicaux dans les centres hospitaliers
L’AP-HP, vient de créer à l’Hôpital Bichat, la première plateforme d’évaluation et d’analyse des objets connectés en santé, le Digital Medical Hub (DMH). Cette initiative doit permettre d’accélérer les validations des plate-formes et leur implantation dans les Hôpitaux. Cela devrait également faciliter les discussions avec la sécurité sociale quant aux modalités de remboursements potentiels des traitements médicaux qui peuvent en découler. Des initiatives similaires sont en cours dans certains hôpitaux en région, comme au CHU de Strasbourg.
Autoriser la portabilité des informations de santé entre acteurs de l’écosystème via la RGPD
Grâce à la mise en place de la RGPD, la portabilité des données de santé devrait être possible à partir de Mai prochain. Cette initiative devrait grandement favoriser une interopérabilité beaucoup plus forte entre les acteurs, avec de plus une volonté de l’ASIP Santé de favoriser les bonnes pratiques sur cette question entre acteurs du secteur de l’e-santé.
Le secteur de l’e-santé continue à générer de nombreuses initiatives de startups
Ce secteur, malgré les freins déjà cités, continue à rester très dynamique en projets portés par les startups. Preuve en est, le nombre de startups associés au domaine de l’e-santé n’a jamais été aussi élevé au C.E.S (Consumer Electronics Show) de Las Vegas de Janvier 2018, avec une part notable de sociétés issues de la French Tech. A noter également que certaines d’entre elles développent des solutions autour de l’Intelligence Artificielle, de la Data ou des chatbots, qui apparaissent également très porteurs dans de multiples autres secteurs de l’économie.
Les signes sont sans équivoque. Même si ce secteur est et restera très régulé pour assurer la sécurité sanitaire et la confidentialité des données de santé des patients, nul doute que l’ensemble des initiatives à la fois privées, mais aussi publiques, devraient conduire à un développement inéluctable dans ces solutions d’ e-santé sur le marché français. L’influence des comportements des Patients qui intègrent très rapidement les usages digitaux devrait encore accélérer ce phénomène. La véritable question n’est finalement plus si cela va arriver, mais quand?
source :
https://www.frenchweb.fr/https://www.usine-digitale.fr/article/google-amazon-facebook-apple-quels-sont-leurs-projets-dans-la-sante.N646518
https://www.axa.com/fr/magazine/story/ces-2018
conference ASIP Santé du 30 janvier 2018 : e-santé, innover ou réguler?
site de l’ASIP Santé : http://esante.gouv.fr/