En politique, le digital a imposé un nouvel âge de communication. Réseaux sociaux, big data, algorithmes. Le débat politique se joue aujourd’hui amplement sur la scène numérique. La e-révolution du politique semble ouvrir de réelles perspectives en rendant la démocratie plus immédiate.

Mais n’ assistons-nous pas à un simple phénomène de caisse de résonance? Cette amplification sert-elle l’objectivité ou la subjectivité? Le global ou le partiel? Le citoyen ou le partial ? En pleine campagne présidentielle, prenons quelques minutes le temps de la réflexion.

Quand les réseaux sociaux font leur campagne politique.

Politiques: accro à Twitter !

En 2008, Barack Obama gagnait le surnom de « Président Facebook » grâce à une stratégie de communication axée sur les réseaux sociaux. Huit ans plus tard, Donald Trump présente une autre version du président connecté, adaptée à ses valeurs et à l’évolution du web. Il a utilisé son compte Twitter pour faire la promotion de sa campagne comme de ses idées :

« Crooked », « such a dishonest person », « SO CORRUPT! », « should be in jail »

Dans son édition du 24 octobre, le New York Times a répertorié plus de 281 personnes qui ont été la cible de ses tweets injurieux en un an. Au total, la campagne américaine s’est largement jouée sur internet. D. Trump a privilégié les réseaux sociaux aux publicités radio ou TV.

Jetez un oeil à cet extrait édifiant de la présence de Donald Trump dans les média:

Le big data: au service de campagnes politiques plus précises.

Les équipes électorales de D. Trump ont également largement fait appel au logiciel de campagne NationBuilder. Véritable CRM appliqué à la politique, ce programme développé en 2009 à Los Angeles permet de segmenter les militants en fonction de leur niveau d’engagement et de personnaliser les campagnes d’e-mailings. Dans le même esprit, la plateforme Federavox exploitée dès 2008 par Barack Obama, et plus récemment lors des primaires en France, identifie les territoires où se trouvent les gisements de voix.

Le digital en politique: la solution pour redonner le pouvoir au citoyen ?

Twitter ou comment re-connecter candidats politiques et électeurs.

Toute campagne passe désormais par la plateforme, et Twitter revendique son rôle clé dans l’information en temps réel.

Damien Viel, Directeur Général de Twitter France:

Ce réseau social va enrichir le débat politique mais aussi informer et influencer les abonnés qui sont en majorité plutôt jeunes et éduqués.

Les Français sur Twitter: sondage Harris Interactive 2016

Source: Sondage 2016 Havas Interactive

Car, comme le prouve le dernier sondage en 2016 d’Havas Interactive pour Twitter, les « tweetos » ont un intérêt plus fort pour la politique que la moyenne des utilisateurs globaux d’internet. Et près d’un tiers d’entre eux estime que le contenu politique a contribué à leur inscription sur Twitter.

 

 

 

 

Pour répondre à cette attente, Twitter met en avant 2 caractéristiques: le direct, avec la publication en temps réel de l’information, grande différence avec les médias traditionnels; la conversation, et l’information devient bijective.

Comme le souligne encore Damien Viel:

Nous souhaitons donner le micro au citoyen qui peut partager ses opinions sans intermédiaire, mais aussi engager la conversation.

L’ubérisation du monde politique en marche avec la « Civic Tech » ?

L’agora, lieu du débat politique à Athènes

Les nouvelles technologies aident déjà les partis à moderniser leur manière de faire campagne. Avec la « Civic Tech », les citoyens prennent part à la prise de décision publique. Change.org, StigParlement&Citoyens, Questionnezvoselus, autant de start-ups qui utilisent le pouvoir du web pour donner la parole aux citoyens.

En étant étendu au monde politique, le mouvement de désintermédiation modifie la représentation classique des citoyens. Sur le plan de la communication, le jeu des acteurs s’en trouve modifié avec des média classiques court-circuités. Le clic activism donne à l’internaute-citoyen le pouvoir d’infléchir le cours des évènements.

A terme, la « Civic Tech » peut faire de la démocratie participative une réalité, et permettre de revenir aux sources de la démocratie. A Athènes, le concept de isegoria accorde une égalité d’importance (iso) dans la parole au sein de l’agora.

Et si le digital n’était que la continuation du même par d’autres moyens?

Les média sociaux, caisse de résonance politique. 

Revenons sur la stratégie numérique de Trump. Les réseaux sociaux lui ont offert une communication directe avec ses électeurs. Et de pallier un appareil militant insuffisant. Néanmoins, il est facile de fustiger les réseaux sociaux.

Les média traditionnels portent également leur responsabilité en ayant largement contribué à la diffusion des propos de Trump. Et en portant leurs commentaires davantage sur les tweets et les déclarations lapidaires que sur le fond des programmes.

Politique aux Etats-Unis: l'effet Trump

Politique aux Etat-Unis: l’effet Trump et les réseaux sociaux

Un tweet provocateur donnait systématiquement lieu à des reprises multiples dans les média, qui le rendaient accessible à un public beaucoup plus large; ces reprises réinjectant le propos dans la conversation numérique, sur Twitter et Facebook. La boucle est bouclée…

L’utilisation excessive de médias entraîne le média dans son ensemble. 

  • Au total, la modernité des média digitaux laissait espérer un changement radical entre émetteur et récepteur. Le récepteur, en capacité peut-être pour la 1ère fois dans l’histoire des média d’être à son tour un émetteur audible, un système plus équilibré était imaginable?

Encore récemment, Twitter prétendait que le fait de retransmettre le débat entre H. Clinton et D. Trump, en permettant aux twittos de publier en direct des  éléments de fact-checking, était garant d’un exercice démocratique inédit.

  • En réalité, l’irrésistible croissance de l’audience de Trump laisse penser que les vieux principes de saturation d’un média par un seul émetteur dominant continuent de fonctionner. On renverra ainsi aux analyses développées dès les années 1920 par W. Lippmann, dans les années 1970 par N. Chomsky et 2000, par W. Mc Chesney: la saturation d’un média par un pouvoir permet de fabriquer du consentement (« manufacturing consent ») sans laisser se développer un réel contre-système (« check and balances »).

En d’autres termes, une campagne outrancière est peut-être d’autant plus efficace qu’elle bénéficie d’un système de diffusion libre et massif. Reste maintenant à faire du digital un outil plus spécifiquement dédié au contrôle des messages qu’il diffuse ?

Un objectif qui peut passer par la mise en place d’autorités indépendantes, de modérateurs ad-hoc en matière politique, ou encore de droits de suite juridiquement mieux encadrés.

Les débats politiques dans le cadre de la présidentielle en France ouvrent-t-ils des perspectives ? A suivre…

Sources:

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/22/comment-le-numerique-change-la-politique_5053079_3232.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Noam_Chomsky

Robert W. McChesney: Rich media, Poor Democracy: Communication Politics in Dubious Times in:

http://www.cjc-online.ca/index.php/journal/article/viewFile/1189/1123